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BERNARD PIGUET L’art mis aux enchères

par Fabien Franco
9 mars 2018

Bernard Piguet a su moderniser l’Hôtel des ventes de Genève. Pour l’heure minoritaire, il souhaite développer les ventes aux enchères d’art contemporain.

Quelles sont les spécificités de la maison Piguet ?

Nous sommes une maison généraliste. Nous vendons des tableaux, des bijoux, du mobilier, des manuscrits, de la maroquinerie de luxe. Il s’agit exclusivement de ventes volontaires, c’est-à-dire constituées d’objets ou de meubles apportés par les particuliers. 

Quelle place occupe l’art contemporain ?

L’art contemporain ce sont pour nous des tableaux, des photographies et des sculptures. Il représente environ quinze pour cent des ventes de tableaux et sculptures. Lors de la vente de décembre, nous avions une centaine de lots, en particulier des œuvres d’art suisses. Nous n’avons pas encore eu la chance de vendre une grande collection d’art contemporain. Le marché de l’art contemporain suisse est davantage dynamisé par les galeries. Pour ce qui est des enchères, c’est à New York, Londres et Paris que ça se passe. Nous souhaitons néanmoins lui accorder plus de place.

Un vendeur aurait-il intérêt à passer par les enchères ?

Si vous comparez le prix en galerie et la cote telle que donnée sur Artprice par exemple, vous avez un monde, excepté pour les œuvres des artistes phares. Nous nous distinguons des galeristes qui ont pour mission de soutenir et de promouvoir les artistes.

Que dire des enchères visant à faire monter artificiellement la cote d’un artiste contemporain ?

Ce n’est pas une pratique que j’apprécie. Je sais que ça existe. La façon de faire est simple : vous êtes galeriste et je suis commissaire priseur. Une œuvre à quinze mille francs dans votre galerie est mise aux enchères au prix de dix mille francs. Vous la rachetez vingt mille francs. L’artiste va donc prendre une cote. Ce sont des pratiques que l’on détecte assez facilement en décryptant les bases de données. Soulignons que cette pratique est marginale en général, et inexistante chez nous. Je ne tiens pas à entrer dans ce genre de combine.

Il est pourtant interdit que le vendeur soit l’acheteur.

Oui mais il suffit d’un prête-nom. De la même manière, le propriétaire a interdiction de faire monter les enchères de l’œuvre qu’il a mise en vente. 

Entrez-vous en concurrence avec les poids-lourds du secteur que sont Christie’s et Sotheby’s ?

Même s’il nous est arrivé de vendre des objets qu’ils auraient voulu eux-mêmes vendre, nous n’entrons pas en concurrence directe. Ils sont extrêmement compétents dans le très haut-de-gamme, c’est-à-dire dans la vente de tableaux, de diamants d’une valeur de plusieurs millions de francs. En Suisse, ils sont spécialisés dans les bijoux, les montres et dans l’art suisse. Pour autant, il arrive que nous collaborions. Par exemple, si les biens à vendre d’une famille comptaient dans son patrimoine un Picasso, nous nous en chargerions si le voyage à Londres ou à New York n’était pas souhaité.

Qui sont vos clients ?

J’ai repris l’entreprise en 2006. Elle ne gérait alors que des successions. Désormais il est fréquent que nous retrouvions lors d’une même vente, un client qui va à la fois acheter et vendre des objets. Les particuliers changent davantage leurs intérieurs et renouvellent leurs biens de valeurs. Cela dit, les déménagements, les divorces, les décès restent majoritaires. Nous sommes également spécialisés dans le conseil aux successions et héritages. 

Des conseils délicats qui demandent une certaine psychologie.

Nous estimons puis nous agissons pour le partage. J’ai développé des méthodes très pragmatiques qui prennent en compte le deuil, les émotions, le patrimoine de chacun des héritiers. À partir du moment où l’on partage des biens, le risque que les membres de la famille se déchirent, augmente. Je ressens une grande satisfaction quand je parviens à ce que la succession se déroule pour le mieux. Cet aspect humain est très important et nous impose d’être professionnels, a fortiori pour la société commerciale que nous représentons. 

Quelle est la spécificité du marché suisse des ventes aux enchères ?

Genève est le centre mondial des ventes de bijoux et de montres. Christie’s, Sotheby’s, Phillips traitent des centaines de millions de francs chaque année. En ce qui nous concerne, nous vendons autour de huit millions de francs de bijoux et de montres. La Suisse compte de nombreux collectionneurs, suisses et résidents étrangers. La circulation des œuvres d’art y est libre. Les propriétaires d’œuvres d’art peuvent faire voyager leurs biens sans entraves administratives, outre bien sûr l’application du droit international. Une autre spécificité est que lorsque nous avons des objets de très bonne qualité au niveau international, nous parvenons également à capter la clientèle régionale fortunée, des acquéreurs qui ne se seraient pas déplacés à Londres ou à Paris, mais qui sont prêts à miser très fortement simplement parce que la vente se déroule près de chez eux. 

Constatez-vous une augmentation du nombre d’œuvres mises en vente chaque année ?

Le nombre est stable, aux alentours de 15 000 œuvres et objets d’art, répartis dans quatre à cinq ventes annuelles. Chaque vente s’étale sur une semaine. Tous les lots sont photographiés, numérotés et catalogués. Nous devons donc être particulièrement performants durant ces seize jours de vente. Cela exige une organisation parfaite et beaucoup de rigueur. Nous essayons d’assurer au vendeur un délai de paiement d’un mois après la vente. Lors d’une vente, nous passons entre 80 et 100 lots à l’heure, ce qui est rapide, excepté lors des ventes spéciales.

Est-il possible d’acheter en ligne ?

Nous utilisons plusieurs systèmes qui nous permettent de vendre en ligne auprès d’acheteurs qui misent en direct. L’enchère est filmée. Ce dispositif s’ajoute aux mises par téléphone et aux ordres d’achat qui sont conséquents chez nous.

C’est-à-dire ?

Nous recevons entre 4 et 5 000 ordres d’achat par vente. Dans ce cas, l’ordre est écrit par un acheteur qui ne peut se déplacer. Nous en recevons en provenance du monde entier, très peu de France en revanche parce que les acheteurs français ont connu les abus de maisons de vente peu scrupuleuses qui achetaient à hauteur du montant maximal de l’ordre d’achat, quand bien même il n’y avait plus d’acheteur pour surenchérir. L’ordre d’achat demande une éthique professionnelle et une pratique stricte. Commercialement il est aussi intéressant. N’est-il pas agréable de commencer une vente avec deux tiers des lots bénéficiant déjà d’une offre ? 

Avez-vous le choix des œuvres mises en vente ?

Nous sommes contraints de sélectionner les œuvres au risque d’être submergés par les objets. Les armoires du XVIIIe siècle aussi belles soient-elles ne se vendent qu’une bouchée de pain. Leur acheminement et la manutention qu’elles exigent ne seraient rentables ni pour le vendeur ni pour la maison de vente. 

Notez-vous une évolution de la profession ?

L’époque est mondialisée. Où que vous soyez dans le monde vous pouvez acheter à Genève, Hong Kong ou Dallas. L’information des prix, en amont et après la vente est accessible à tous. Vous pouvez miser à partir de votre téléphone portable et acheter une œuvre d’art en quelques minutes. L’acte d’achat est immédiat et la réception du bien acquis se faire pratiquement aussi vite. Nous sommes à des années-lumière du Drouot traditionnel où l’on se rendait entre 11h et 12h et le lendemain pour regarder les vitrines…

Des acheteurs que vous devez informer.

La question de la visibilité est essentielle. Pour réussir une belle vente, il faut capter en amont les futurs acheteurs. Nous utilisons les outils numériques ainsi que les médias internationaux. En décembre dernier, un press-book a été envoyé à près de 400 médias de par le monde. En tant que « petite maison » composée d’une trentaine de collaborateurs, nous parvenons à atteindre et informer le plus grand nombre d’acheteurs potentiels. C’est ce qui nous permet de nous développer.

Comment envisagez-vous l’avenir ?

Je plébiscite une démocratisation des ventes aux enchères. Nos ventes dites « silencieuses » proposent à la vente des biens dont les prix varient entre 300 et 1 000 francs. Les ventes aux enchères sont de plus en plus populaires et finalement c’est un moyen comme un autre d’acquérir une œuvre d’art. La vente aux enchères est passée dans les mœurs. Le grand public est bienvenu. Démocratiser les ventes aux enchères c’est démocratiser le marché de l’art. J’œuvre en ce sens.

La maison Piguet en chiffre :

Vingt millions de francs de chiffre d’affaire en 2017.
Entre 25 et 30 collaborateurs.
15 000 œuvres et objets d’art en moyenne vendus chaque année.
Record mondial pour un manuscrit russe de l’époque impériale : 40 000 francs pour une lettre de Nicolas II.
Commission sur les ventes : 20%.