Artveras – Mireille Blanc

par L'Art à Genève
29 mai 2019

A la galerie Artvera's

Comme Philippe Cognée, votre professeur aux Beaux-Arts à Paris ou Luc Tuymans que vous admirez, vous puisez vos inspirations dans la photo pour peindre. Quelle influence ces peintres ont-ils sur votre travail ?

Philippe Cognée a été un très bon professeur aux Beaux-arts de Paris, en poussant chacun de ses étudiants vers ses singularités. C'est à ce moment-là que j'ai découvert le travail de Luc Tuymans, qui, dans son rapport à l'image, a été une grande influence. Sa peinture est d'une grande force conceptuelle - et en même temps quelque chose qui échappe toujours. Il y a cette forme de retrait qui me fascine. Il questionne le lien à l'Histoire, aux faits... J'ai, comme lui, je pense, une certaine méfiance aux images, à leur sens. C'est l'aspect énigmatique des choses qui m'intéresse - comment le familier, le quotidien, voire banal, peut soudain devenir étrange.

Infra-ordinaire, installation view at Artvera's.  ©Julien Gremaud. Courtesy: Mireille Blanc

Quel rapport entretenez-vous avec la photographie, déjà enfant et, aujourd’hui ?

Aujourd’hui l’image photographique est omniprésente. Enfant, j'aimais parcourir les albums-photo de famille. Il y a ce lien fort à la mémoire dans mon travail – un passé commun plutôt qu'une histoire personnelle, intime. J'ai besoin de passer par le filtre de la photographie.

Comment sélectionnez-vous les photographies avec lesquelles vous travaillez ?

Mon travail vient de la rencontre avec un objet ou une photographie déjà existante. Je photographie alors cet objet, ou cette photo (je ne recherche jamais d'images sur internet, je ne saurai pas QUOI chercher). C'est donc toujours un sujet qui s'impose à moi – une rencontre due au hasard.Il y a une grande part d'intuition dans le choix du sujet. Et il faut qu'il y ait nécessité à peindre une image.

Combi, 2018, huile sur toile, 28 x 40 cm

Parfois vous prenez en photos vos sujets, parfois la photographie de la photographie, que vous peignez ensuite. Pourquoi cette mise en abîme ?

Je procède en effet par mises à distances successives. Je recadre, j'extirpe des détails, brouille, triture mon image (sur photoshop, puis, une fois imprimée, au fusain, à la bombe). J'épuise mon sujet, je fais en sorte qu'il ne soit plus évident. Je pousse ce sentiment d'étrangeté que j'ai eu initialement. Et ensuite seulement, je peux commencer à peindre, en rendant visibles tous ces filtres. C'est ce statut de l'image qui m'intéresse ; il s’agit de peindre la reproduction d'une image, le document lui-même, scotché au mur de l'atelier, la photographie retravaillée, avec une pâte épaisse, dense. Toutes les marques sont donc rendues visibles : scotch utilisé lors du recadrage, traces de lumières (le flash qui réinjecte de la lumière lorsqu’on reprend en photo une photographie), tâches de peinture, d'eau, "accidents" à l'atelier, pliures, qui adviennent sur les images imprimées... Cela tend à éloigner mes sujets, et crée une tension, dans cet écart entre le sujet et le regardeur.

Mireille Blanc, Rideau, 2014

Vos peintures reflètent souvent des objets « oubliés ». Comment vous est venu ce goût pour l’obsolescence?

La notion de finitude m'intéresse – contenue dans la Nature morte. Je travaille contre l'idée d'UN sujet – et par série non plus. Mais il y a des récurrences – je pense par ailleurs qu'en tant qu'artiste on tourne toute sa vie autour d'une même idée. Les motifs de sweat-shirts, les gâteaux, les bibelots kitsch, des sujets ou motifs improbables, à la limite du repoussant, éveillent mon intérêt pictural, avec une matière assez jouissive à travailler. Ce sont les qualités propres de ces objets qui m'intéressent, et leur aspect énigmatique. Et j'aime l'idée de travailler sur les limites : limite de l'identifiable, limite d'une forme de bon goût, limite de la croûte (je pense aux Croûtes de Gasiorowski), avec une matière épaisse, dense, où l'on sent tous les coups de pinceau.

Sweatshirt (bouée) 2018, oil and spray on canvas, 200 x 155 cm

Vos peintures ont un cadre particulier - souvent bord cadre. Que recherchez-vous à travers cette limite ?

Oui, il est vrai que je cadre plus que je ne compose. Les cadrages sont souvent resserrés, et le sujet, fragmenté ou coupé, déborde. Il y a cette dimension du sujet qui échappe et se perd. C’est une peinture indicielle, un univers fragmentaire, contre toute narration. La notion de détail est essentielle dans mon travail. Le statut, double, du détail m'intéresse. En s'approchant, on précise des choses, il y a une dimension haptique, comme si le regard touchait. Dans un mouvement inverse, le détail tend à abstraire, car il fait perdre l'échelle, le contexte, donc le sens, et crée une forme d'aveuglement. Quand le regardeur ne peut plus immédiatement identifier ce qui est représenté, il y a un doute, une tension, c’est ce que je recherche.

Y a-t-il un enjeu dans votre peinture ?

Il est question, dans ma peinture, de la manière dont les choses apparaissent. Je tiens à ce qu'il y ait une retenue des images et que tout ne se livre pas immédiatement. Pour moi c'est un des enjeux de la peinture : le temps de la montée à la vue. Ce temps spécifique à la peinture elle-même...

J'aime parler de « figuration contrariée ». Les choses restent incertaines et peinent parfois à émerger.

Pipe et chat, 2018, huile et spray sur toile, 50 x 34 cm

Vous exposez à Genève pour la première fois, à la Galerie Artvera’s, que représente cette exposition pour vous ?

Je suis heureuse de pouvoir montrer un ensemble de peintures pour la première fois, à Genève, dans une galerie qui a une programmation en art contemporain, mais aussi moderne. Et j'ai aimé la proposition de Laurène Maréchal, la commissaire d'exposition, de réunir quatre artistes  (Laetitia de Chocqueuse, Louise Boulter, Vincent Kristeet et moi-même) travaillant la peinture, avec des approches très différentes.

 

Pratique

Mireille Blanc, Artvera's https://www.artageneve.com/lieu/galeries/artveras

Jusqu'au 27 juillet 2019