Christian Robert-Tissot « mots en couleurs »

par Claude-Hubert Tatot
27 mai 2020

« Probably lost », titre de l’exposition de Christian Robert-Tissot à la Galerie Joy de Rouvre est un énoncé de cartel trouvé par l’artiste sous la photo d’un tableau de Malevitch trop important pour être totalement absent d’une importante rétrospective.

La peinture de Christian Robert Tissot est essentiellement abstraite. Les mots font images sans être message. Les lettres, leurs polices et leurs espaces composent la toile ou le mur en aplats de couleurs, formes sur fonds. Cette peinture s’inscrit dans une histoire de la modernité, de la planéité de la toile, de sa partition géométrique et de la perte du sujet. 

Abstraction Distraction, 2020

Pour autant, pour le regardeur qui depuis Duchamp fait aussi l’œuvre, les mots ont un sens et sont sujets à interprétations. Ils le sont d’autant que les phrases, que les listes, toutes trouvées sont justement choisies par l’artiste pour ne rien dire de trop précis, pour ne pas primer sur la forme, pour être à l’équilibre avec leurs mises en oeuvres.  

« Probably lost », titre de l’exposition de Christian Robert-Tissot à la Galerie Joy de Rouvre est un énoncé de cartel trouvé par l’artiste sous la photo d’un tableau de Malevitch trop important pour être totalement absent d’une importante rétrospective.

Cette formule, peinte avant que l’exposition ne ferme, avant même d’être vernie, prend aujourd’hui valeur de prémonition tant l’incertitude et la perte se sont considérablement accrues depuis. « Paint or die » résonne fortement en ces temps de pandémie, quant à la liste visitor, collector, curator, director, terminator, elle fait voiture balais d’un monde de l’art en peine. Même manger des lasagnes en compagnie pose aujourd’hui problème, il n’y a bien plus que le chocolat qui fond toujours au soleil.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, Christian Robert-Tissot n’est pas devin. Il est peintre. L’exposition décline la peinture : au mur, monochromes sur lesquels sont accrochés des toiles de chevalet, en séries mais aussi en réductions, répliques autographes dirait l’expert. La facture neutre, à dessein sans affect n’exclue pas les variations. Les vibrations et les accords colorés sont subtiles dans chaque toile et dans toute la galerie puisque c’est une mise en espace qui s’opère par connivences et contrastes chromatiques.  

« Abstraction-Distraction », lettrage jaune sur fond bleu et vert faisant rayure donne peut-être la clé d’une juste lecture de l’œuvre. 

Faire abstraction du sens des mots pour ne pas se laisser distraire du fondamental : la manière dont ils sont peints, dont ils font avant tout image, si bien qu’il ne faudrait pas, au fond, les détacher de la forme.

Ne pas les voir en peinture serait, au-delà du jeu de mot, probablement perdre de vue l’essentiel.

Claude-Hubert Tatot.

 

Claude-Hubert Tatot, né à Ecuisses (1971) dans un milieu populaire, a étudié l’histoire de l’art à Lyon et l’enseigne à la  HEAD-Genève après avoir travaillé dans différents musées : Beaux-arts de Lyon et Bourg-en-Bresse, Carré d’art et avoir dirigé la Cellule pédagogique du Mamco et du Centre d’Art Contemporain de Genève. 

Membre du CECA de l’ICOM (conseil international des musées) et de l’AICA (Association Internationale des Critiques d’Art)

Il écrit régulièrement articles et notices et a publié un recueil de récits : « Né dans la boucherie d’Ecuisses » aux éditions Art&Fiction, Lausanne.

Pratique https://www.artageneve.com/lieu/galeries/galerie-joy-de-rouvre