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Anouk Gressot, céramiste en prison

par Vanna Karamaounas
8 juin 2018

Artiste céramiste, après avoir animé un atelier pendant une vingtaine d’années à Genève, vous êtes engagée à la prison Champ Dollon (Genève) en 2001 pour y créer un atelier terre pour les prisonnières. 

Quelles ont été vos motivations pour prendre ce poste à la prison ?

Ayant une certaine expérience de la transmission artistique et étant passionnée d'arts premiers et d'ethnographie, j'étais persuadée que des thèmes issus de ces disciplines pourraient être un dénominateur commun à la diversité culturelle des détenues de la prison de Champ-Dollon et offriraient un merveilleux terrain d'aventure.

Quel est votre rôle face à ces femmes meurtries, votre engagement émotionnel ?

Mon rôle est de contrer le désoeuvrement et l'angoisse liés à l'incarcération par le mouvement, l'action, la découverte et la sensorialité qu'offre un atelier terre. Mon rôle est un peu celui d'agent de métamorphose.

« Mon rôle est un peu celui d'agent de métamorphose »

Comment organiser l’atelier avec des personnalités et des cultures si différentes, peut-on dépasser les frontières ?

En proposant la réalisation collective d'objets reconnus par l'histoire de l'art à partir d'images et de photos, on transcende les différences culturelles et la barrière des langues.

Comment se crée le lien de confiance entre vous et les détenues ?

Par le respect et par une attention particulière donnée à chacune d'entre elles, empreints de bienveillance et de non-jugement. Par ma volonté de retrouver chez chacune le sanctuaire où brille encore une flamme.

Travailler individuellement ou en groupe ?

Travailler individuellement et en groupe.

Quel est le bénéfice pour chacune d’elles de cette activité artistique ?

Participer à une action commune, découvrir ses potentialités, parfois ignorées, et produire quelque chose qui va susciter l'admiration.

Discutez-vous ensemble des projets communs, des choix et des thèmes ?

Généralement, je choisis un thème et amène de la documentation. La manière d'aborder ce thème et la direction prise dépendra des discussions, des propositions et de l'apport volontaire de chacune.

La reconnaissance est-elle importante pour ces femmes cloîtrées entre quatre murs ? Comment se fait-elle ? Par le biais d’une exposition extra-muros ?

La reconnaissance apportée par le biais d'une exposition extra-muros redonne aux détenuesune estime de soi, rétablit un lien social et les présente non pas comme seules auteures de délits mais comme auteures d'une oeuvre.

Parlez-nous des Katchinas, ces sculptures inspirées des indiens Hopi d’Arizona et créées par les détenues sous votre protection, que vous exposez à la Galerie Anton Meier en ce moment ?

Les poupées katchinas sculptées dans du bois de racine de peuplier, sont des représentations des esprits des ancêtres de la cosmogonie Hopi des Indiens d'Arizona. Elles sont offertes aux enfants Hopi comme objets de transmission du savoir, afin qu'ils se familiarisent avec leur culture.

Après avoir travaillé probablement de nombreux mois pour la réalisation de cette exposition, les détenues ne peuvent voir le succès immense de cette exposition. Est-ce que leur séparation avec les œuvres a été simple et évidente ?

Étant donné que le projet était communautaire et que, dans la plupart des cas, plusieurs détenues ont participé à la création d'une même figurine, personne ne s'en sentait propriétaire. Seul prévalait le sentiment de fierté devant l'ensemble des sculptures.

Comment qualifier cette forme collective d’art ?

Puisqu'il est question de se construire par l'activité artistique en s'inspirant d'objets créés par une civilisation donnée, je parlerais plutôt de production culturelle.

Les statuettes sont à vendre, comment fixer leur prix dans un monde où le marché de l’art est somme tout subjectif ?

Nous voulions, Anton Meier et moi, que ces statuettes puissent être acquises par le plusgrand nombre, afin que le plaisir éprouvé par les détenues tout au long de la démarche créative puisse se transmettre à tous.

Les revenus des ventes sont-ils destinés à la publication d’un livre sur l’exposition ?

Après le remboursement des frais d'exposition, le surplus financier servira de socle à une future publication sur mes dix-sept années d'activité artistique au sein des ateliers des femmes de la prison de Champ-Dollon.

Que ferez-vous de toute cette expérience intense passée en prison ?

Cette expérience d'une rare intensité m'a fait grandir et influencera sûrement la suite de ma vie.