Danielle Eliasberg offre au MAH 451 oeuvres de son père Paul Eliasberg

par Vanna Karamaounas
8 décembre 2019

"Les fréquentations de mes parents d’amis peintres et le contact quasi permanent avec le monde de l’art constituaient un enrichissement permanent bien plus stimulant que le milieu scolaire, à mes yeux profondément ennuyeux."

Pourquoi avoir choisi le Musée d’Art et d’Histoire de Genève pour faire don de 451 œuvres de votre père, le peintre et graveur Paul Eliasberg ?

Je suis très impressionnée par la politique culturelle de la Suisse, où d’importants efforts sont déployés pour permettre au grand public d’accéder à une meilleure connaissance, notamment, en matière d’art. Par ailleurs,  Genève possède une dimension internationale, ce qui est loin d’être négligeable. En choisissant de faire ce don aux Musées d’Art et d’Histoire j’estime que les œuvres de mon père sont valorisées et se trouvent en bonne compagnie, le tout en d’excellentes mains. Le grand  professionnalisme dont a fait preuve Monsieur Christian Rumelin, conservateur en chef du Cabinet d’Arts Graphiques, qui s’est donné à fond pour mener à bien cette exposition ne fait que me conforter dans ce choix. Je l’en remercie infiniment.  

Je rappelle qu’elle est la dernière d’une série de trois expositions : la première, une grande rétrospective des œuvres sur papier au Kunstmuseum de Bayreuth en 2017, la seconde, uniquement de gravures, au Museum Moderne Kunst Wölrlen à Passau la même année.

Quel lien entre Genève ou la Suisse et votre famille ?

Le grand-père maternel de mon père, Nicolas Wassilieff (né à Saint Petersbourg en 1857) a dû fuir la Russie en 1877 en raison de ses activités subversives (détention d'écrits interdits, et implication dans  une grève d'ouvriers du textile). Réfugié à Genève en 1878, il mène avec succès des études de médecine à l'université de Bern. Dès lors, jusqu’en 1906, date de son retour en Russie,  il s’implique de très près dans la cause ouvrière. Il est même  naturalisé Bernois en 1892.

Paul Eliasberg, Forêt vierge, ©Danielle Eliasberg, Cabinet d'arts graphiques du MAH, photo : A. Longchamp

« Paysages de l’âme » est le titre de l’exposition consacrée au peintre, comment a-t-il été choisi ? 

Je pense que ce titre  a été choisi par Mme von Assel, conservatrice au Kunst museum de Bayreuth, ceci, notamment, en raison de l’aspect  très intimiste de cette oeuvre. En fait, même si au fur et à mesure la représentation humaine disparait, lui-même déclare en 1958 : « mes paysages, dans la mesure où on les reconnaît comme tels, ne sont qu’un prétexte derrière lequel se cache quelque chose de profondément humain ». 

Est-ce que naturellement vous avez souhaité la pérennité pour l’œuvre de votre père ?

Il était très soucieux du devenir de ses œuvres, il m’en parlait souvent. Par ailleurs, outre mon devoir de piété filiale, j’estime qu’il aurait été infiniment regrettable de laisser se  perdre une œuvre de qualité dont je suis fière. Beaucoup de mes amis dont les parents étaient artistes, éprouvent exactement la même chose. Or, je suis l’unique descendante, donc à moi d’en assurer la survie.

Peut-on dire que Paul Eliasberg a marqué une époque avec son art ?

Non, bien qu’à partir de la fin des années 50, son art ait été reconnu, en témoignent  les nombreuses expositions faites dans différents pays (France, Israël, Allemagne, Canada, Italie, Hollande, Luxembourg  etc..) dans des galeries d’art et dans de grands musées (Brême, Francfort, Munich, Hambourg etc…) et le fait qu’il ait enseigné de 1966 à 1970 à l’Ecole des Beaux-Arts de Francfort (Städelschule) il est resté malgré tout une espèce d’ outsider à l’écart des grands courants . 

L’oeuvre est-elle essentiellement abstraite ?

A mes yeux pas véritablement. On observe progressivement une nette évolution vers l’abstraction mais cela voisine avec d’autres représentations beaucoup moins abstraites comme par exemple « Le parc abandonné », peu de temps avant sa mort.

Paul Eliasberg, Notre Dame, ©Danielle Eliasberg, Cabinet d'arts graphiques du MAH, photo : A. Longchamp

Savez-vous pourquoi dans sa représentation d’intérieur d’églises, il choisira les cathédrales gothiques plutôt que d’autres lieux saints ?

Tout en étant agnostique  il a toujours manifesté une grande attirance  pour les  petites églises de village dont la France est si riche ainsi que pour les charmantes chapelles byzantines grecques. Il en a peint relativement peu et elles ne figurent pas dans l’exposition. Pour lui les églises étaient souvent associées à des concerts de musique sacrée baroque, en particulier à Jean Sébastien Bach, son compositeur de prédilection. Cette association de la musique et de l’architecture se situe au début des années 50. Progressivement, il s’intéresse davantage au cheminement de la lumière au travers des structures de l’édifice. Au cours des années 60, il cherchera à exprimer l’élan raffiné de la pierre gothique vers le ciel. C’est alors la lumière, divisée à l’infini par les hautes colonnes et ogives, qui devient l’architecture. La relation verticale ciel terre est évidente. 

Quelles sont ses œuvres qui vous touchent le plus ?

C’est difficile à dire par ce qu’il y en a beaucoup. Faire un choix serait trop réducteur. 

Paul Eliasberg, Glasfenster, ©Danielle Eliasberg, Cabinet d'arts graphiques du MAH, photo : A. Longchamp

Quelle est la vie d’un enfant avec deux parents artistes-peintres ?

C’était  une vie difficile sur le plan matériel - mon père n’a véritablement commencé à vivre de son art que vers la cinquantaine. Tous mes vêtements venaient de comités de bienfaisance. Par ailleurs, je voyais bien que mes parents souffraient l’un et l’autre d’avoir à accepter des gagne-pains. Ma mère qui venait d’une bonne famille bourgeoise, pendant un certain temps a fait des ménages, quant à mon père, outre la fabrication d’encadrements,  car il était très adroit de ses mains, a passé quelques années dans un cabinet d’architecte à faire du dessin industriel, travail qu’il haïssait ;  néanmoins un enfant, lorsqu’il connaît dès le début une certaine précarité, ne la perçoit pas. Parallèlement, les fréquentations de mes parents d’amis peintres et le contact quasi permanent avec le monde de l’art constituaient un enrichissement permanent bien plus stimulant que le milieu scolaire, à mes yeux profondément ennuyeux. 

Homme très cultivé, votre père était polyglotte et lisait beaucoup. Il s’intéressait notamment beaucoup à la peinture chinoise.  Est-ce son influence qui vous a poussé vers la sinologie ?

Probablement de loin mais il a été surpris lui-même de mon choix. C’était en fait la difficulté de la langue et le côté « extrême » qui m’ont attirée, c’était aussi la découverte d’une culture et d’un mode de pensée totalement différents du nôtre ; toutefois maintenant, avec le recul des années, tout ce que je sais c’est que je ne saurais pas.