© « Ulysses » réalisé par Shu Sao

Festival du film d'animation d’Annecy 2018 OFF LIMITS, le programme qui élargit l’horizon

Par Fabien Franco
5 juin 2018

Au Festival international du film d’animation d’Annecy 2018, le OFF LIMITS explore les frontières méconnues d’un art contemporain de l’image et du mouvement. 

Ici pas de longs métrages narratifs destinés à la jeunesse et au grand public. La sélection des courts métrages qui composent le programme OFF LIMITS, du 11 au 15 juin, raconte une autre histoire de l’animation. Il s’agit d’ouvrir de nouveaux champs d’investigation formelle et conceptuelle. La singularité des esthétiques et les sujets traités distinguent cette animation en quête de nouveaux territoires. Des territoires plus souvent abordés que les courts métrages produits ne sont pas soumis aux exigences d’un marché commercial. La diversité des expressions artistiques est la norme dans un programme non exempt de genres et de sous-genres récurrents et identifiés. Certains jeunes réalisateurs marchent dans les traces de leurs prédécesseurs, renouvelant l’animation tout en s’inscrivant dans une histoire du cinéma en constante évolution. D’autres font preuve d’une créativité initiatrice, en rupture, flirtant avec des frontières cinématographiques transgressives. 

 

Le programme, conçu par Marcel Jean, le directeur artistique du festival d’Annecy (et par ailleurs directeur général de la Cinémathèque québécoise), vise à montrer une animation audacieuse traversée par des sujets complexes. Les films sélectionnés mélangent les techniques, l’image animée y rencontre par moment la prise de vues réelles, raison pour laquelle il arrive que des films sélectionnés à Annecy se soient vus interdits l'accès à d’autres festivals d’animation. Cette mixité remonte pourtant aux origines de l’animation. Émile Cohl à qui l’on attribue l’invention du premier dessin animé de l’Histoire (Fantasmagorie, 1908) utilisait des vues réelles dans ses prologues et ses épilogues. La rotoscopie a été inventée en 1915 par les frères Fleischer, quant au dessinateur Winsor McCay, il mêlait dès 1918 photographies et dessins animés (The sinking of the Lusitania). Circonscrire l’animation à la seule technique du mouvement fabriqué image par image n’a pas cours dans le programme. Ce dernier témoigne d’un cinéma qui n’a jamais cessé d’expérimenter et, ce faisant, de décrire à sa manière l’époque et sa modernité.

 

Home, a portrait of New York City © John Morena

 

Le programme compte huit films en compétition officielle. « An excavation of us » (France, Grèce, Haïti), court métrage de onze minutes réalisé par Shirley Bruno en 2017 et produit par Le Fresnoy, studio national des arts contemporains (Tourcoing, France), traite de l’esclavage en Haïti à travers le témoignage d’une révolutionnaire, Marie-Jeanne Lamartinière. Illustrée par l’animation, le film dépasse le fait historique en interrogeant le récit officiel et la construction de la mémoire. Pour « vaincre l’oubli », la cinéaste a animé des images du passé, insaisissables et changeantes, sur les murs de la grotte Marie-Jeanne (Port-à-Piment, Haïti). Doux et violent, le voyage vaut  pour ce qu’il met en perspective : le relativisme historique et sa capacité à occulter. 

 

L’artiste chinois Shu Cao voyage lui aussi dans le passé, mais en plongeant dans ses propres souvenirs à travers son journal intime. Dans « Ulysses », la caméra navigue dans sa mémoire comme sur une scène de crime. À la recherche de traces tangibles malgré le temps qui a passé, les traumatismes et les frustrations. Présent en 2016 à Annecy avec One minute art history, (ou comment confronter plus de mille ans de l’histoire de l’art à la banalité du quotidien), le réalisateur interpelle avec la même puissance d’émotions. 

 

Autre voyage temporel, celui que propose Stacey Steers dans son film « Edge of Alchemy ». Pas moins de 6 000 collages et images extraites de films muets ont été nécessaires pour sa réalisation. L’animatrice américaine met en scène deux stars de l’âge d’or hollywoodien, Janet Gaynor, distinguée en son temps du premier Oscar de la meilleure actrice et la célèbre Mary Pickford. Inspiré du Frankenstein de Mary Shelley, le film questionne la condition féminine, en lien avec la nature, la création, le biologique, le vivant, la mort, le sang. À nouveau l’histoire, ici cinématographique et culturelle, y éclaire le présent. Pendant près de vingt minutes, un peu long peut-être, elle redonne vie à ces « créatures » féminines extraordinaires, à l’aide d’une animation surréaliste foisonnante aux nombreuses références. 

 

Edge of alchemy © Stacey Steers

 

Le Brésilien Rodrigo Faustini explore quant à lui l’abstraction dans « Garoto transcodificado a partir de fosfeno ». Ses images donnent à voir des abstractions mouvantes et colorées dans lesquelles émerge subrepticement une silhouette avant de disparaître aussitôt. On pense à l’expressionnisme abstrait des années 50 avant de se laisser aller à l’évasion et, pourquoi pas, si les deux minutes du film le permettent, à la contemplation. 

 

Un peu plus de deux minutes également, c’est le portrait de New York par John Morena. L’animateur américain a réalisé en 2017, cinquante-deux films expérimentaux. Celui sélectionné est le numéro sept. À la manière de Norman McLaren, il donne vie aux formes et aux couleurs que lui inspirent les sons, les odeurs, l’architecture de Big Apple. Figuratif et abstrait, c’est vibrant, intense, aussi minimaliste qu’expressif. Mais de ce côté-là, pas de surprises, plutôt un air de déjà-vu confortable et attendu. 

 

Everything de David O'Reilly © David O'Reilly Victor Romero

 

Enfin parmi les huit films du programme, on retiendra le film de David O’Reilly (USA, 2017) commenté par le philosophe britannique Alan Wats. L’animation tirée d’un jeu vidéo appuie intelligemment le discours. La réalité s’y caractérise par son universalité et sa relativité. En dix minutes, la petite leçon métaphysique et scientifique s’avère d’une profonde portée. De quoi clore le programme d’un cinéma engagé dans ses formes et ses contenus.

 

 

www.annecy.org