© Musée de la Chasse et de la Nature

Claude d’Anthenaise, directeur du Musée de la chasse et de la nature

Par Nafsika Guerry-Karamaounas
16 avril 2018

Le musée de la chasse et de la nature n’est pas le lieu d’exposition que l’on croit.

Quel rôle tient le musée de la chasse et de la nature dans le monde artistique?   

Il a été institué par François Sommer, un homme engagé dans la défense de certaines idées relatives aux questions écologiques et à la place de l’homme dans la nature. Le musée témoigne de cet engagement à travers ses collections et sa programmation. 
Il a été conçu comme un musée-maison, comme la collection personnelle d’un chasseur d’art et de bêtes sauvages. Il offre un agencement original, extrêmement riche, tout en assumant une  tradition esthétique et décorative. C’est l’opposé du white cube qui forme le territoire ordinaire de l’art contemporain. Pour les artistes invités cela constitue un véritable enjeu que d’arriver à faire exister leurs œuvres sans que ce soit au détriment de celles qui les environnent. Certes l’insertion de l’art contemporain dans un contexte patrimonial n’est pas une spécificité du Musée de la chasse et de la nature. Beaucoup de lieux s’y essayent régulièrement. Mais le musée  apporte quelque chose de particulier à travers les thèmes qu’il aborde : à côté des thèmes naturalistes,  la chasse, la violence exercée vis-à-vis de l’animal y sont présentées dans un esprit qui  n’est pas partisan. Elles sont toutefois illustrées par des objets - armes, trophées de chasse -  constitués en série. Ce décor, ces thématiques, permettent de mettre les œuvres contemporaines en tension. Ces dernières entrent en résonnance, prennent appui ou détonnent par rapport aux collections anciennes. Enfin, l’agencement muséographique fait en 2007, l’a été en assumant et en intégrant un certain caractère d’ambiguïté. Dans une ambiance immersive, le visiteur, perdu dans une sorte de forêt, se trouve confronté à des dispositifs dont le sens et la nature peuvent lui échapper. Ainsi, le classicisme de la mise en scène est subverti par de nombreux éléments disruptifs qui peuvent échapper au premier regard. L’intégration de l’art contemporain contribue à ce climat d’étrangeté.  

Comment est né un tel projet?

François Sommer était un homme ouvert sur l’art de son temps. Lors de l’ouverture du musée, en 1967, la collection incorporait des éléments contemporains. L’art français du XVIIIe siècle avec les peintures de Chardin, Oudry ou Desportes étant très présent à l’époque, il a pu accaparer l’attention du public. Avec la disparition du fondateur quelques années après l’inauguration, son audace s’étiole. À mon arrivée, en 1998, le musée était perçu comme un lieu charmant et suranné voué à la célébration de l’art animalier français. J’ai voulu dynamiser cela en invitant certains artistes telle Gloria Friedmann qui y a été présentée en 1999. Mais l’ouverture massive à l’art contemporain date essentiellement de la rénovation du musée à partir de 2005. C’est alors que j’ai appelé des artistes tant pour enrichir les collections que pour compléter le décor. Je pouvais prendre appui sur l’exemple du fondateur. Surtout, la réorganisation du musée autour du thème central concernant le rapport de l’homme occidental à l’espace et à l’animal sauvages, nécessitait que cette question soit aussi illustrée par des œuvres de notre temps.

Vous avez donc invité Sophie Calle.

On ne peut pas dire que le travail de Sophie Calle soit caractérisé par un questionnement écologique identique à celui du musée. Encore que sa relation à la taxidermie et la collection d’animaux naturalisés dont elle s’entoure ne soient pas totalement étrangères à notre univers. Bien qu’elle n’ait jamais tenu un fusil, Sophie Calle a un côté chasseresse. Elle l’a exprimé dans ses œuvres datant d’il y a quelques années ou, tantôt chasseur et tantôt chassée, elle suivait des inconnus dans la rue ou se faisait pister par un détective privé. Dans la perspective de l’exposition, je l’ai emmenée en « pèlerinage » dans l’ancien territoire de chasse de François Sommer situé dans les Ardennes. Une résidence artistique y a été aménagée il y a quelques années. À travers cette démarche symbolique, Sophie Calle s’est un peu imprégnée de la culture des chasseurs et en a tiré des pièces magnifiques qu’elle a produites pour l’exposition au musée. Le succès de son exposition, 100 000 visiteurs en 4 mois, a contribué à donner une nouvelle image du musée. Bien que beaucoup de visiteurs potentiels restent effrayés par son intitulé qui leur parait dissuasif, venant voir Sophie Calle et les autres expositions que nous présentons, ils découvrent un univers très particulier et très différent de ce qu’ils imaginaient. On peut espérer qu’ils reviennent et s’imprègnent de l’atmosphère du musée et de ses collections permanentes.

Quels sont vos atouts?

Le succès de l’exposition de Sophie Calle contribue au défi que le musée s’est fixé. L’augmentation de la fréquentation n’est pas un objectif en soi. Je dois préciser que le musée a été généreusement doté par son fondateur ce qui nous permet une totale indépendance financière. De ce point de vue, nous envisageons l’avenir avec humilité, mais aussi avec confiance.  Nous ne sommes pas là pour faire la course aux chiffres mais bien pour témoigner. Au-delà de la question accessoire « pour ou contre la chasse »,  l’enjeu, c’est la place de l’homme dans la nature, particulièrement face aux grands défis écologiques. Pour servir efficacement cette cause, il faut être audible. La notoriété croissante du musée, grâce, notamment, à sa programmation, y contribue. Je dirai que notre indépendance, mais aussi l’engagement qui définit notre ligne de conduite, constituent notre force.

# Musée de la chasse et de la nature

Comment exposer l’œuvre d’art?

L’approche du Musée de la chasse et de la nature privilégie l’émotion et la contemplation, là ou d’autres musées mettent l’accent sur la connaissance historique de l’œuvre. Dans l’agencement muséographique, les informations sur les collections sont disponibles mais elles ne s’imposent pas. Y accéder est parfois l’objet d’un jeu. Cela ne veut pas dire que l’on se limiterait à une approche strictement esthétisante. L’art est un langage sans parole. Il nous touche et nous transforme. Revenant à la mission que s’est donné le musée, l’art peut nous aider à changer notre relation au monde. En nous confrontant à d’autres images de la nature, issues d’autres systèmes de pensée, nous pouvons modifier notre rapport à la nature. C’est la modeste contribution à la solution des problèmes écologiques que le musée s’est fixé.

Quel projet pour l’avenir?

L’année 2017 a été particulièrement bonne pour le Musée de la chasse et de la nature, confirmant la croissance soutenue de son audience et de sa fréquentation depuis sa réouverture. L’enjeu pour 2018 consiste à consolider cette tendance tout en respectant l’engagement voulu par le fondateur : au-delà de la notoriété, c’est l’expression du sens qui importe.  Mais il ne s’agit pas de faire de la propagande. Plus modestement, l’action du musée vise à dépasser les oppositions frontales et souvent stériles entre les différentes conceptions de notre relation à la nature. À cette fin, en plus des expositions le musée développe diverses propositions : conférences, manifestations artistiques. Notre revue « Billebaude », traitant de thèmes liés à l’espace ou l’animal sauvages, confronte des points de vue différents : anthropologique, philosophique, artistique ou issus d’usagers de la nature (agriculteurs, sylviculteurs, chasseurs, défenseurs de la faune et de la forêt).

Qu’est-ce qui caractérise l’esprit « musée de la chasse »?

La volonté de fuir le dogmatisme ou le systématisme. Dans son approche muséographique comme dans sa programmation, le musée assume une certaine liberté. Il cherche à introduire une part d’émotion, d’humour ou de poésie, une sorte de distance qui permet au public de s’approprier l’œuvre plus facilement que si elle lui était imposée, assortie d’un discours ou d’une interprétation univoque. C’est dans cette sorte de polysémie profuse que réside peut-être la liberté du créateur et celle à qui s’adresse l’œuvre. Elle mobilise l’implication de l’observateur qui doit interpréter l’œuvre pour se l’approprier. Le musée de la chasse et de la nature privilégie cette approche pédagogique à un discours trop bien construit qui laisserait le public à l’extérieur.