Le Corbusier / Martin Chramosta, Rideau bavard

par Vanessa Morisset
10 janvier 2019

La sculpture de Martin Chramosta à la Fondation suisse – Pavillon Le Corbusier, Cité internationale, Paris.

 

A la Fondation suisse de la Cité Internationale de Paris, Martin Chramosta, artiste travaillant à Bâle et Vienne, a installé durant quelques semaines une sculpture réalisée in situ sous la forme d’un dessin dans l’espace. 

 

Sculptures, installations, performances, son travail s’incarne en effet aussi bien dans des pièces pérennes qu’éphémères ou temporaires telle que l’était celle-ci. Intitulée Rideau bavard, elle rentrait en dialogue avec le bâtiment construit au début des années 1930 par Le Corbusier et Pierre Jeanneret et, plus précisément, dans le salon de réception du bâtiment, avec la fresque réalisée par Le Corbusier en 1948, intitulée La Peinture du silence, une des rares au monde encore conservée. Une œuvre en écho donc à celle de l’architecte phare du modernisme, vis-à-vis de laquelle on découvrait bien vite qu’elle était tout sauf déférente et commémorative. Le Rideau bavard, dont le titre s’oppose terme à terme à La Peinture du silence, venait en effet parasiter, brouiller, voire jeter la suspicion sur l’œuvre du maître, en suggérant de se demander : à quel silence Le Corbusier conviait après la guerre ? 

Dans un style moderniste tardif comparable, au moins formellement, à celui du Fernand Léger et rappelant aussi, par son format et l’agencement de ses figures, le Guernica de Picasso, cette peinture murale du Corbusier évoque la paix retrouvée après la guerre. Mais elle le fait précisément dans la continuité du style pratiqué par l’architecte avant-guerre, époque durant laquelle on sait maintenant qu’il a eu des positions profascistes, ayant même côtoyé de près des mouvements d’extrême-droite. Ces informations conduisent à porter un autre regard sur son travail jusqu’alors adulé, ce à quoi invitait aussi l’œuvre de Martin Chramosta, mais sur le mode détourné et non frontal de la dissimulation plastique plutôt que par la formulation péremptoire d’un jugement définitif. 

Tel un ensemble grillagé, d’apparence industrielle, la pièce était constituée de plusieurs éléments plus ou moins figuratifs, évoquant des oiseaux, voire des volailles caqueteuses, formés d’entrelacs en aluminium, imposant au spectateur une distance avec le mur, tout en laissant apercevoir à travers ses formes ajourées la composition picturale colorée de 1948. Autrement, dit le Rideau bavard n’est pas un rideau occultant qui viendrait purement et simplement empêcher de voir, mais il contrariait, troublait, à la manière d’un bruit de fond, d’une rumeur, d’un chuchotement constant et perturbateur, ou grimait comme un masque porté par une personne reconnaissable malgré tout. Il empêchait notamment de lire entièrement la phrase poétique et tellement (trop ?) évidemment pacifiste inscrite à une extrémité de la peinture « garder mon aile dans ta main ». On la devinait encore, mais de cette manière tenue à distance, elle devenait sujette à caution. 

Ainsi, le Rideau bavard de Martin Chramosta interrogeait plus globalement le rapport aux œuvres du passé que, tour à tour on vénère ou considère avec embarras. Plutôt que de condamner, il ajoutait une couche de complexité aussi bien visuellement que conceptuellement, faisant redécouvrir un lieu relevant de l’histoire de l’architecture depuis le point de vue audacieux d’un artiste de la jeune génération actuelle. 

La sculpture de Martin Chramosta à la Fondation suisse – Pavillon Le Corbusier, Cité internationale, Paris, 20 octobre-2 décembre 2018

Fondation suisse
Cité Internationale Universitaire de Paris
7k bd Jourdan
75014 Paris - T : 01 44 16 10 16

Martin Chramosta, Rideau bavard photos : Paul Nicoué