©H. Mariethoz

Hélène Mariethoz, curatrice indépendante

par Fabien Franco
15 mars 2018

Malgré un statut précaire, le curateur indépendant est devenu un acteur incontournable de l’art contemporain.

Vous avez été à la direction de la Villa Bernasconi pendant dix-sept ans. En mai 2017, vous décidez de démissionner. Qu’est-ce qui a motivé votre départ

L’envie d’évoluer dans un contexte avec moins de contraintes et d’avoir la liberté de suivre les artistes de mon choix en étant plus indépendante. 

Est-on curatrice indépendante par choix ou par obligation ?

Je suppose les deux mais la question, très débattue actuellement, est de savoir comment peuvent vivre les curateurs indépendants aujourd’hui. Quels sont leurs droits, leurs rémunérations, leur statut juridique ? La question vaut pour nombre de professionnels du domaine de l’art. En ce qui me concerne, je souhaite conserver mon indépendance mais je suis également à la recherche d’un poste salarié car je ne pourrais pas vivre en étant exclusivement curatrice.

Entretenez-vous des relations avec d’autres curateurs indépendants ?

Oui, nous échangeons des informations, partageons nos expériences. Nous évoluons avec les mêmes contraintes et prenons des risques similaires et il me semble normal de faire montre de solidarité. Chacun de nous a quelque chose à apporter. 

Pourriez-vous exercer à l’étranger ?

Oui. Ça me plairait beaucoup. Je pourrais alors inviter des artistes suisses à se confronter à des artistes issus d’autres horizons.

Vous considérez-vous comme auteure ?

Il existe plusieurs types de curateur. Certains sont auteurs, ce qui n’est pas mon cas. Je ne signe pas. Je ne choisis pas les œuvres ; je choisis les artistes. J’accompagne leur travail et avec eux je prends le risque et la responsabilité de l’exposition. Je ne vais pas dans l’atelier choisir les œuvres. Ce sont toujours des nouvelles pièces qui sont présentées. Nous discutons, l’artiste et moi, autour de ce qui nous préoccupe, de ce que nous voulons montrer, en lien avec son évolution artistique et sa relation politique, sociale avec le monde. Ensuite mon travail s’attache à insérer l’œuvre dans le lieu d’exposition selon sa configuration et  l’environnement social auquel il s’adresse. Selon que l’on soit en extérieur ou en intérieur, devant tel ou tel public plus ou moins informé, la nature de la proposition artistique peut varier. 

Cela signifie que la mise en résonance de l’œuvre avec le lieu va influencer le travail de l’artiste.

Par exemple, la Villa Bernasconi en tant que lieu d’exposition exerce de fortes contraintes. L’exiguïté des salles, les nombreuses fenêtres, la sonorité des lieux ont une incidence pratique sur le choix des œuvres. La perception que nous avons des lieux détermine des décisions liées au format, à la matière, à la nature même des œuvres réalisées. Le site et le public à qui l’on s’adresse sont pris en compte. On n’organise pas la même exposition pour une foire d’art contemporain, une galerie, un centre d’art ou un l’espace public.

Comment choisissez-vous les artistes ?

Quand je participe à un jury, quand je vais voir une exposition, et aussi par bouche-à-oreille, je découvre des artistes. Ensuite la visite d’atelier me permet d’en savoir plus, de réellement faire leur rencontre. 

Comment opère la rencontre ?

Ce qui m’importe c’est d’écouter l’artiste parler de son travail. C’est à ce moment que je perçois la passion et, souvent même, l’obsession. Certains artistes ne sont pas à l’aise dans l’expression orale mais ça n’importe pas. Dans l’atelier comme dans le lieu d’exposition, l’essentiel réside dans l’adéquation ou le contraste avec le monde extérieur que le travail de l’artiste met en perspective. Cette relation crée des liens qui ont du sens. 

Vous êtes invitée en mars par la galerie Laurence Bernard. Quelle a été l’origine du projet ?

Elle connaissait mon travail. Elle avait aimé une exposition que j’avais organisée en mai 2017 à Bâle. Elle m’a contactée ensuite me suggérant les artistes dont elle avait particulièrement aimé le travail. 

Le curateur invité peut-il s’écarter de la ligne artistique de la galerie ?

Cela dépend de la volonté du galeriste de prendre un risque. C’est une éventualité qui se discute et le curateur n’a pas l’autorité pour imposer quoi que ce soit. Il peut arriver que le curateur conduise le galeriste à faire un écart, à marquer une rupture avec sa ligne et ainsi l’ouvrir à un autre champ d’investigation esthétique. La relation entre le galeriste et le curateur est avant tout basée sur la confiance.

Inviter un curateur est-ce le moyen pour un galeriste d’entamer une relation contractuelle avec un nouvel artiste ?

Ça pourrait être le cas mais souvent les galeristes ont déjà beaucoup à faire avec les artistes qu’ils soutiennent. 

Est-ce le cas pour le commissariat dont vous avez la responsabilité ce printemps à la galerie Laurence Bernard ?

En effet. J’étais impatiente d’éprouver le travail du duo d’artistes franco-suisse formé par Matthieu Barbezat (Nyon, 1981) et Camille Villetard (Paris, 1987) dans le contexte d’une galerie. Ils ont jusqu’ici exposé dans de nombreux centres d’art et réalisé des pièces pour l’espace public. Leur travail s’articule autour de la transformation de l’espace. La dimension réduite de la galerie impose un format nouveau.

Votre intervention permet de compléter le regard sur l’œuvre.

C’est pour cette raison que je ne choisis pas des pièces existantes. Accompagner l’artiste sur une voie à laquelle il pensait sans l’avoir jamais explorée est l’une de mes motivations principales. Lui permettre de le faire, lui donner confiance, lui dire qu’il peut prendre ce risque-là. Un curateur c’est également quelqu’un qui met en relation et en situation. 

Et pas seulement. Vous tenez aussi un rôle d’aiguillon.

Quand la situation est nouvelle pour les artistes, je suis celle qui va leurs donner les informations pour les aider à réaliser au mieux les œuvres selon les contraintes inhérentes à chaque lieu d’exposition. Les conditions d’exposition, différant d’un contexte à un autre, elles peuvent avoir une influence sur les pièces.

C’est la relation entre la forme et le fond.

Une pièce ne change pas en soi. L’artiste ne va pas ajouter du rouge parce que le salon du futur acquéreur est dans des tons qui s’harmoniseraient avec cette couleur. Mais la liberté donnée par un centre d’art n’induit pas nécessairement le même travail que celui demandé pour une foire d’art où l’œuvre a pour vocation à être vendue. De ce point de vue, le Centre d’art a plus vocation à être un laboratoire, un lieu d’expérimentation et de recherche.

Ainsi les œuvres exposées à la galerie Laurence Bernard par Barbezat-Villetard.

Des œuvres originales, créées en effet pour donner à un amateur d’art la possibilité de pouvoir s’en porter acquéreur. Lorsque j’étais directrice à la Villa Bernasconi la question de la commercialisation des œuvres ne se posait pas pour moi. Maintenant il en va autrement. Les pièces doivent être réalisées dans des dimensions qui autorisent leurs acquisitions. Il est important que l’artiste puisse vivre de son travail.

Les artistes qui voient leurs œuvres exposées dans des institutions reçoivent un soutien public.

Il est très rare encore que les institutions rétribuent les artistes. C’est une revendication qui mobilise actuellement la profession.

Si l’artiste est « institutionnalisé », il gagne alors en crédibilité et voit sa cote à la hausse sur le marché.

C’est loin d’être le cas pour la majorité des artistes. Le centre d’art met de l’argent pour la production de l’œuvre mais n’en fait pas forcément l’acquisition. Les choses sont en train de changer. Le monde de l’art est lui aussi le reflet de notre époque. 

Les curateurs ne jouent-ils pas un rôle de plus en plus prégnant sur ce marché ?

Les curateurs accompagnent, fédèrent, soutiennent, et aident à exposer. Certains artistes dénoncent ce rôle arguant qu’ils n’ont besoin de personne pour organiser les expositions de leurs œuvres. Mais d’autres artistes sont en demande et perçoivent le curateur comme un agent qui les aide dans la promotion et la diffusion de leur travail. L’un n’exclut pas l’autre.

Êtes-vous favorable à ce que la profession soit davantage réglementée ?

Cela signifierait des interdits ou des contraintes. À l’instar des associations je suis en faveur de la création d’un code de déontologie pour que le respect de l’artiste, vivant ou décédé, et de son travail, ainsi que la connaissance du domaine de l’art et de son histoire régissent la profession. Sans oublier le droit de suite des œuvres qui exige que les artistes bénéficient de la plus-value de leurs œuvres. C’est une question d’intégrité et d’équité. 

Comment vous investissez-vous pour la reconnaissance des artistes et curateurs ?

je m’intéresse aux actions de la plateforme Rosa Brux qui informe les artistes sur leurs droits. La permanence juridique conseille les artistes de toutes disciplines un mercredi sur deux depuis janvier 2018. Les consultations sont assurées par des avocats spécialisés dans le droit de l’art*. C’est une initiative portée par l’association Lab-of-Arts et Rosa Brux à l’espace Forde à Genève.

Qu’est ce que vous n’accepteriez pas ?

Mettre ensemble des pièces pour un discours qui ne serait pas en adéquation avec les intentions de l’artiste. Les raisons peuvent être politiques, idéologiques, mais aussi, formelles. F.F.

* rosabrux.org

Voyage Out, Barbezat-Villetard. Du 22 mars  au 5 mai 2018. Galerie Laurence Bernard - Genève