Philippe Campiche, conteur

par Vanna Karamaounas
17 décembre 2019

Depuis des milliers d'années, dans toutes les sociétés humaines, les hommes ont raconté des histoires.  L'humain éprouve le besoin fondamental d'expliquer le monde, d'y trouver un sens.

Comment devient-on conteur ?

C'est une question qui m'est souvent posée. La réponse est simple, on devient conteur en contant, et en se formant avec d'autres artistes.

Mais une fillette m'a demandé : « pourquoi tu es devenu devenu conteur ? ». Là, c'est toute une histoire.

Un jour, je suivais un stage de contes. A l'époque j'étais enseignant et cherchais à me former dans divers domaines artistiques. Le dernier jour, on devait raconter en public dans une colonie de vacances. Jamais je n'étais monté sur une scène, et j'étais mort de peur. J'ai commencé mon histoire, puis n'ai plus eu aucune conscience de ce qui se passait. Je me suis soudain comme réveillé, et me suis entendu raconter la fin de mon conte. Je suis sorti de scène, totalement paniqué, ne sachant pas du tout ce qui s'était passé,  et le conteur qui animait le stage m'a seulement dit : « c'est vertigineux, non ? ».

La nuit suivante fut une vraie nuit blanche. J'ai réalisé que j'étais conteur, que j'allais changer de vie, et qu'il me restait à apprendre le métier. Au fond, je n'ai pas eu d'autre choix que de poursuivre le chemin ressenti durant cette transe.

La fabrique des contes, Musée d'ethnographie de Genève,  ©artageneve

Quel était/est le rôle du conte ?

Depuis des milliers d'années, dans toutes les sociétés humaines, les hommes ont raconté des histoires.  L'humain éprouve le besoin fondamental d'expliquer le monde, d'y trouver un sens.

Et les contes répondent à cette quête. On y trouve pêle-mêle parole sacrée et histoires profanes, origines du monde et histoires d'amour, blagues et sérieux, ...

Lorsque je suis face à 200 enfants et que je dis un conte sur la mort, leur écoute est quasi scintillante. Le conte parle de choses essentielles, mais il avance masqué, chacun y voit ce qu'il veut ou peut y voir. C'est que les histoires sont bien plus vieilles que moi, elles ont été portées par beaucoup d'autres avant moi, et cette sagesse millénaire transpire dans les histoires.

Vous-même associez souvent de la musique au conte, je pense à Kalavrita, exceptionnelle présentation, pourquoi ?

J'ai créé 8 spectacles mêlant conte et musique. Il me semble que les deux arts sont extrêmement complémentaires. Si les mots peuvent installer des images, la musique touche précisément à l’intime, elle frappe au cœur, sans détour et sans fard. Elle agit sur la délicate alchimie des émotions, en donnant un langage à ce qui sans elle resterait non-nommé. Par ailleurs, l’alternance texte-musique offre des respirations bienvenues, qui vont aider le spectateur à « digérer » l’histoire, à se créer ses propres images.

Les contes c’est pour l’imaginaire collectif ou pour l’inconscient individuel ?

Pour les deux en même temps, bien sûr. Les contes populaires sont une création collective. Ils contiennent donc des symboles qui ont le grand pouvoir de s'adresser directement à l'inconscient, qu'il soit individuel ou collectif.

Sur scène, il arrive la sensation très forte que l'on parle à tous et à chacun en même temps, que l'on touche à une sphère quasi-sacrée, que la parole a une force phénoménale, capable d'embrasser le monde.

Les africains disent qu'un conteur peut, parfois, soulever le toit des huttes.

La fabrique des contes, Musée d'ethnographie de Genève,  ©artageneve

Comment fait un conteur pour captiver son public ?

Il y a bien sûr une foule de conditions nécessaires, mais deux choses me semblent vraiment essentielles: la sincérité et le travail.

Un conteur doit vivre l'histoire qu'il raconte, se laisser traverser par elle, se laisser entraîner dans ses méandres, être surpris ou ému par ses personnages, et tout cela en direct et sans fard.

Et en même temps, il doit avoir travaillé l'histoire, l'avoir parcourue dans tous les sens, la connaître à fond, avoir choisi avec soin ses mots, ses expressions, ses rythmes, bref, la maîtriser.

Et c'est là le vrai défi: être neuf avec une histoire que l'on connaît par coeur. C'est comme en amour. On ne peut passer deux fois par le même chemin.

Quelle est votre histoire préférée ?

C'est, et de loin, «  Kalavrita des mille Antigone ». Ce n'est pas un conte, mais une nouvelle de Charlotte Delbo qui raconte un épisode de la seconde guerre mondiale. Je m'y sens totalement conteur, même si je dis un texte d'auteur, à la virgule près. J'ai la sensation, en le jouant, que mes 30 ans de métier trouvent là leur vrai but, que toutes ces années m'avaient préparé à dire ce texte magnifique et si profond. Et puis, les musiques qui l'accompagnent sont si belles...

Philippe Campiche voit le jour en 1953 à Lausanne en Suisse. 

S’ensuivent une enfance chaotique et un certificat fédéral de maturité obtenu de justesse, avec en toile de fond cette quête obstinée d’un sens à notre présence ici. Entre autres peintre en bâtiment, chauffeur pour handicapés, livreur de brosses à dents à mi-temps et étudiant à temps très partiel, il finit par aboutir à l’école active de Genève, où il va enseigner durant 14 ans.

En 1989, il rencontre le conte et, d’après ses propres mots, « ce qui était errance devient cohérence ». L’oiseau laisse désormais une trace dans le ciel.

Depuis, il a créé 14 spectacles, en solo ou en musiques, pour enfants et pour adultes. 

Plus de détails disponibles sur son site

La fabrique des contes, Musée d'ethnographie de Genève,  ©artageneve