Beach Way

Alexandre de Rougemont chez Gutknecht Gallery

Cerise Dumont
16 septembre 2025

Gutknecht Gallery présente Thirty Days at Cali, une exposition consacrée aux photographies récentes d’Alexandre de Rougemont. Réalisées en juin 2024, elles sont le fruit d’un voyage de trente jours en Californie, entre Los Angeles et San Francisco.

Un vent de Californie souffle dans les rues de la vieille-ville de Genève. Au sein de la Gutknecht Gallery, le photographe Alexandre de Rougemont (1963) raconte en une quinzaine d’images le road trip qu’il a entrepris sur la côte ouest des États-Unis. Guidé par l’envie d’évasion et de découverte, il a suivi la mythique C1, s’arrêtant au gré de son inspiration dans des villes côtières ou de petites bourgades de l’intérieur.

Ses statistiques disent quelque chose de l’ampleur de cette traversée : 1600 km en voiture, 600 km en Uber, 50 km en trottinette électrique et près de 400 km à pied. Mais c’est avant tout la liberté qui a dominé son parcours, avec un itinéraire inventé jour après jour, guidé par l’objectif de son Leica.

Alexandre de Rougemont photographie peu, refusant la rafale : un surfeur de Malibu saisi en un seul cliché, des palmiers qui s’élancent à l’arrière plan de la carrosserie d’une Hudson vintage, un coucher de soleil en noir et blanc qui échappe à l’image de carte postale. L’artiste joue avec l’iconographie mythique du Golden State tout en évitant – si l’on ose le formuler ainsi – les clichés au premier degré !

Les images, loin du photoreportage, privilégient l’émotion à l’exactitude documentaire. Chaque sujet est traité individuellement, parfois légèrement retravaillé pour restituer une sensation, une tonalité nostalgique ou au contraire presque futuriste. D’où cette impression d’intemporalité qui se dégage de l’ensemble, renforcée par des noirs profonds, veloutés, et des couleurs volontairement désaturées. Ses cadrages d’architectures, presque surréalistes, suspendent les bâtiments dans une étrangeté poétique et hors du temps. Plus encore que les sujets, c’est l’atmosphère qui importe, la faculté qu’a chaque photographie de condenser un instant et de le transformer en fragment d’éternité.

Adoptant une approche anti-sérielle, l’artiste privilégie la singularité pour chacune de ses images. Ses photographies peuvent ainsi être en noir et blanc ou en couleur, chacune sur un support choisi en fonction du sujet – Fine Art, Aludibon, Dibond. Certaines images se voient ainsi renforcées par la brillance métallique de l’aluminium, d’autres gagnent en douceur et en profondeur grâce au velouté du papier, chaque décision de tirage prolongeant le geste artistique.

L’accrochage de la Gutknecht Gallery joue de ce dialogue sensible. Les photographies ne sont pas présentées selon la chronologie du voyage, mais mises en résonance avec des pièces de mobilier design des années 1920 à 1970. Un éclat métallique, un reflet de bois laqué sombre, une ligne pure : autant d’échos aux matières et aux rythmes des images du photographe. Le visiteur se déplace ainsi dans un espace où chaque œuvre dialogue avec son environnement. Cette mise en scène permet de mesurer combien la matérialité d’une œuvre peut se prolonger dans celle des objets, et combien, à l’inverse, l’objet peut révéler des correspondances cachées dans une image.

Dans l’exposition Thirty Days at Cali, la Californie s’impose le personnage principal du récit d’Alexandre de Rougement. Elle se révèle telle qu’il l’a vue, formant un patchwork de souvenirs où se croisent plages désertes, océan infini, architectures urbaines et rares figures humaines anonymes. Dans cette traversée, les clichés célèbrent autant les paysages que les silences, les lignes d’horizon que les accidents visuels, la force brute du Pacifique que la fragilité d’une jeune fille assise sous une jetée. Le spectateur est invité à suivre cette déambulation comme un récit visuel, fait d’arrêts, de détours et de respirations.

Un livre, édité en trente exemplaires en écho aux trente jours du voyage, accompagne l’exposition. Tiré à si peu d’exemplaires – un pour chaque jour du voyage de l’artiste –, il prolonge le geste de rareté et de singularité qui imprègne l’ensemble du projet.

Pratique : https://www.artageneve.com/lieu/galerie/galerie-patrick-gutknecht