Augustin Rebetez – Shake the Auroras

Dobroslawa Nowak
4 octobre 2019

Adelina von Fürstenberg expose l'artiste suisse à l'espace Assab One de Milan.

La ville de Milan et toute l’Italie de manière générale, ont pour habitude de proposer des expositions élégantes et (n'ayons pas peur de ce mot) plutôt classiques. 

Les curateurs ainsi que les artistes sont attachés à un certain ordre. Ceci donne lieu à des expositions « faciles » et structurées. En réalité, personne ne devrait être surpris par de telles mises en scène. En effet, ces héros s'efforcent justement de faciliter l’appréhension et la compréhension du visiteur lors de sa visite. Cette démarche est profitable à tous les partis.  

Si toutefois une certaine « surcharge » dans la perception peut se faire ressentir, celle-ci est souvent désirée et maîtrisée. Ceci est le cas, par exemple, de l'exposition "Sanguine. Luc Tuymans on Baroque", en 2018 à la Fondazione Prada. On peut donc parler ici d’abondance contrôlée.

Il n’en est rien pour “Shake the Auroras” d’Augustin Rebetez. Les forces puissantes accumulées avec inquiétude (digne d'un théâtre grotesque) et dans un deuxième temps relâchées, désordonnées, sont présentées en forte densité. L'exposition, sur le fil, défie l’art ; sa connaissance populaire plus exactement. 

Comme l'a suggéré la curatrice Adelina von Fürstenberg, l'artiste prend plus de plaisir à créer l'œuvre qu'à admirer le résultat du travail de création. L’artiste contemporain qui n’est pas pressurisé par le succès serait-il un « must know » ?

Dans un entretien (disponible à la galerie) réalisé à l’occasion d’une exposition personnelle au Sesc Consolação au Brésil, Augustin Rebetez fait référence à un processus artistique spécifique, qu’il discute amplement avec la curatrice Adelina von Fürstenberg. Il fait notamment référence à l’amusement ainsi qu’à la liberté créative et libératrice. 

L’exposition de l’artiste suisse se tient dans le grand espace d’Assab One. On y admire des peintures, des graffitis, des sculptures ainsi que des animations vidéo mêlant musique, poésie, etc.  Afin d’arriver à ce résultat, à cette profusion créative, Augustin Rebetez a vécu en amont des expériences innovantes très intenses, en collaborant avec différents musiciens, acrobates, acteurs,  plasticiens, curateurs.

La curatrice Adelina von Fürstenberg est reconnue pour établir une approche multiculturelle de l'art. Sa vision unique et incomparable l'a amenée à présenter des œuvres d'art dans des espaces tels que des bâtiments publics, des îles, des parcs, des monastères, des medersas. Adelina von Fürstenberg est la fondatrice et première directrice du Centre d'art contemporain de Genève et fondatrice et présidente actuelle de «ART for the World». Elle a dirigé entre 1989 et 1994 «Le Magasin» centre d’art contemporain à Grenoble, elle a reçu le Lion d’or de la Biennale internationale d’art de Venise en 2015 et a reçu en 2016 the Swiss Grand Award for Art / prix Meret Oppenheim.   

L'exposition de Rebetez suggère des associations immédiates qui se réfèrent  à une sorte de cirque effrayant en trois scénographies. 

Scénographie 1

Le premier espace s’intitule « Chambre du cœur ». Il pourrait être qualifié de légèrement féminin – mains liées, cheveux flottants. Ces oeuvres sont loin de la douceur du "coeur" traditionnellement comprise. C'est un voyage intérieur qui est proposé, mais un voyage difficile à apprivoiser, un voyage fermé qui ne peut être réalisé aisément. L'artiste lui-même n’essaie pas de le faire. Paradoxalement, dans cette « chambre », tout est autorisé.

Scénographie 2

« Jetez vos ombres » est une représentation des cauchemars nocturnes - cadavres d'oiseaux retournés, visions oniriques de mouvements de natation sur un canapé,  personnages sans torse. Ici, l'impression d’être suivi, l’impression d’entendre des murmures à l’oreille sont fortes. 

Cette salle incarne une analyse psychologique brutale mais n’en révèle aucune explication. 

C'est l'expression pure qui frôle une certaine folie saine. L’animation en volumes est un plongeon dans une confusion qui frôle l’hypnose. De nombreux archétypes y sont présentés: loups, dents, corbeaux. Une fenêtre recouverte d'un matériau orange impose immédiatement le doute: s'agit-il d'une peau animale ? Combien de créatures ont-elles perdu leur vie dans ces sous-sols ? Dans ce sous-sol, l’artiste lui-même est oublié – cette pièce n’est plus le fruit de son imagination, elle ne lui appartient plus. Le moment est vécu pleinement. Un certain temps seulement. 

Scénographie 3

La troisième salle s’intitule "Panique au cinéma". Elle est la représentation abstraite d’une désorganisation mentale cependant bien développée. Cette pièce rendrait, quiconque s’y trouve malade. Toutefois, il n’en est rien, car cette profusion d’œuvres est acceptée de façon quasi holistique. Si le visiteur accepte la vision proposée par l’artiste, alors il survit. L'artiste, à l’image de cette exposition, observe et joue avec les différents processus.

Pour une raison ignorée, ces trois voyages plutôt sombres restent de l’ordre du positif. Ils sont gais parce qu'ils sont créatifs ; la création ne peut pas être triste. Elle contredirait sa définition même. Les mondes en expansion s'ouvrent toujours, il ne se produit jamais l'inverse. "Shake you Auroras" est un peu comme un sommeil spécifique, au sein duquel tout est rapide, absurde, fou, le mouvement autour ne laisse aucune place à la respiration, les murs font des grimaces, les surprises visuelles sont denses et s’emballent. De manière plus générale, l'information est vague en termes de rationalisation – aucune réelle description pour cette exposition ne peut être donnée. Les impressions reviennent au fur et à mesure et communiquent à travers le rêve.  Ces œuvres inconscientes, profondément cachées, veulent sortir au-delà de la conscience.

 

Pratique 

Augustin Rebetez
Assab One
curated by Adelina von Fürstenberg
a project by ART for the World 

with the support of Pro Helvetia and the General Consulate of Switzerland in Milan (Italy)
19 September - 10 November 2019

 

texte par Dobroslawa Nowak