Les émeraudes de Marie-Louise. Vers 1810,  ©Stéphane de Sakutin, AFP.

Le Louvre réinstalle les diamants de la Couronne dans la Galerie d'Apollon

par Etienne Dumont
6 mars 2020

Nouvelles vitrines. Elle sont un peu lourdes. Le public y retrouve des joyaux créés depuis François Ier. Il en manque beaucoup. La France a presque tout vendu en 1887.

Nous sommes en 1530. François Ier, qui vient se sortir des geôles espagnoles (de super luxe) après avoir été capturé en 1525 à la bataille de Pavie, prend une décision. Désormais, huit de ses plus beaux joyaux ne lui appartiendront plus en propre. Ce seront désormais ceux de la Couronne. Autrement dit des gemmes inaliénables dont chacun de ses successeurs (au masculin, les femmes restant exclues du trône en France par la «loi salique») ne sera par la suite que le dépositaire et l’utilisateur.

Les émeraudes de Marie-Louise. Vers 1810,  ©Stéphane de Sakutin, AFP.

Bien sûr! Il y aura des entorses. L’énorme spinelle, retaillée en forme de dragon au XVIIIe siècle, demeure aujourd’hui l’ultime relief de ces splendeurs. François Ier la détenait via sa belle-mère Anne de Bretagne. Le reste a servi à payer des campagnes militaires. A réparer des crises financières. A assurer le quotidien de la Cour. Les bijoux de la Couronne avaient en fait tout des réserves de guerre. Quand Henri IV arrivera au pouvoir en 1594 après trente ans de conflits religieux, on ne trouvera ainsi pour coiffer sa tête à Saint-Denis (et non comme ses prédécesseurs à Reims) que la couronne des reines. L’autre avait été dépiautée ou mise engage quelque part. Quant à celle de Louis XV, que la Galerie d’Apollon présente depuis longtemps au Louvre, il s’agit d’une copie. Burma n’a rien inventé. Il y avait déjà des répliques sous l’Ancien Régime.

Restauration préalable

Si je vous parle aujourd’hui des diamants et des émeraudes qui ont fait la France, c’est parce que leur écrin, la galerie d’Apollon, vient de se voir repensé. Il ne s’agit pas d’une restauration. Les plafonds, où ont œuvré aussi bien Charles Le Brun sous Louis XIV qu’Eugène Delacroix au milieu du XIXe siècle, ont déjà subi leur traitement de choc il y a quelques années. Le stucs blanc et or comme les peintures y ont considérablement gagné en lisibilité. Il restait à réinstaller les vitrines. Hautement sécurisées, comme il se doit. Le Louvre n’avoue pas facilement, ce qu’il fait pourtant cette fois, que l’épée endiamantée de Charles X (dont le fourreau figure aujourd’hui derrière une des vitres blindées) a été volée en 1976. En catimini. Ni l’arme ni le coupable n’ont jamais été retrouvés. Il n’y avait pas de caméra-espion en ce temps-là.

Le diadème de l'impératrice Eugénie, acquis par les Turn und Taxis en 1887, ©DR.

Que donne aujourd’hui le résultat ? Pour ce qui est des cristaux de roche, des agates ou des onyx montés pour Louis XIV, rien de neuf. Ces cuvettes taillées et poncées tantôt dans la Rome antique, tantôt à Byzance et souvent à Milan au XVIe siècle, demeurent présentées comme de la vulgaire vaisselle. Il y en bien trop dans chaque vitrine. Mal éclairées, en plus. On se croirait dans le rayon vaisselle d’un grand magasin. Il s’agit pourtant d’un des plus importants ensembles du genre avec celui des Habsbourg à Vienne, des Médicis à Florence, des Wittelsbach à Munich et des Bourbons d’Espagne. Un travail fabuleux. Une patience infinie. Une imagination débordante. Ces chefs-d’œuvre auraient mérité du musée un autre traitement. Comment donner ainsi l’idée de telles splendeurs?

Remaniements constants

Si les pierres dures restent dans leurs vieilles vitrines de style (mais pas d’époque) Louis XIV, les diamants ont trouvé, eux, de nouveaux supports. Modernes. Très laids. Mais sans doute efficaces (du moins on l’espère). Ils abritent ce qui reste du trésor. Peu de chose finalement, et racheté non sans mal depuis la seconde moitié du XXe siècle. Les bijoux de la reine Hortense, récupérés par Marie-Amélie, l’épouse de Louis-Philippe, en 1985. Le diadème de la duchesse d’Angoulême, la fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, en 2002. Les émeraudes de Marie-Louise, la seconde épouse de Napoléon, en 2004. Il faut aussi dire que sous chaque règne les montures changeaient. C’est l’écroulement des régimes successifs qui les a stabilisées.

Une partie de la vente de 1887. Vous reconnaîtrez le diadème de perle, ©DR.

Mais si je dis qu’il s’agit là d’un vague relief, c’est que la France a un jour presque tout vendu. Ce ne fut pas sous la Révolution, comme le voudrait la logique, mais en 1887. Stabilisé après quelques crises d’adolescence, le régime républicain a alors désiré accomplir deux gestes définitifs. Il a d'abord fait démolir les ruines des Tuileries en1884, alors qu’elles étaient parfaitement restaurables. Trois ans plus tard, il dispersait l’énorme écrin de l’impératrice Eugénie, formé pendant l’exceptionnelle euphorie économique qu’avait été le Second-Empire. La vacation a eu lieu à Londres. Tout le monde a acheté.

Des histoires à la Sacha Guitry

La suite ressemble depuis au film «Les perles de la Couronne» de Sacha Guitry (1937). Des histoires rocambolesque. Une broche, jamais récupérée par la France, a ainsi fini en don d’une cantatrice au Metropolitan Opera de New York qui l’a cru fausse pendant un siècle. Elle a donc constamment servi sur scène. Le diadème de perles de l’impératrice, récupéré par le Louvre lors d’une vente genevoise de Christie’s en 1992, a passé aux princes Turn und Taxis en 1887. La dernière à l’avoir arboré est donc Gloria von Turn und Taxis. «Die wilde Prinzessin Gloria» pour la presse people germanique. Notez que la diablesse, devenue femme d’affaires, s’est depuis faite ermite. Elle aurait même retrouvé la foi.

Ces anecdotes, un peu «Point de vue-Images du monde» je le confesse, ne sont bien sûr pas racontées au Louvre. Le musée se contente d’aligner les cartels neutres en français, en anglais et en espagnol. Il semble permis de le regretter. La chose eut amené un peu de chair à des colifichets restant ici bien froids. On se croirait dans un magasin Cartier à Paris, ou plutôt de Graff à Londres. De l'émotion n’aurait pas fait de mal. Dans son film de fiction, Sacha Guitry racontait en 1937 les choses bien mieux, avec son mélange d’ironie douce et de misanthropie totale. Le Louvre gagnerait souvent à s’humaniser.

 

Pratique

Musée du Louvre,rue de Rivoli, Paris. Tél. 00331 40 20 50 50, site www.louvre.fr Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 9h à 18h, les mercredis et vendredis jusqu’à 21h45. Je suis incapable de vous dire si le musée est ouvert. Il est resté fermé le dimanche 1er et le lundi 2 mars. De toute manière, il s'agit là d'une poudrière sociale. Avec ou sans coronavirus.

Paru dans Bilan.ch le 2 mars 2020