Le portrait emblématique de Geraldo de Barros. DR, Mamco Genève 2022.

Le Mamco propose l’intégrale Geraldo de Barros

par Etienne Dumont
31 mars 2022

Le Mamco propose l'intégrale Geraldo de Barros. On connaissait le photographe via l’Elysée de Lausanne. Voici l’artiste complet, peintre, designer et créateur de meubles dans le Brésil des années 1950 à 1990.

On avait déjà vu Geraldo de Barros à l’Elysée en 1994 (Charles-Henri Favrod était alors aux manettes), puis en 1999 (William A. Ewing avait entre-temps pris les commandes). Il s’agissait bien entendu de photographies. Autant dire que le musée s’était contenté d’un segment de l’œuvre développé à partir des années 1940 par l’artiste brésilien (1923-1998). La partie n’est pas forcément semblable au tout. Il manquait donc à Lausanne la peinture, le mobilier ou la création graphique. Il fallait du coup revenir un jour de manière plus globale sur le sujet. C’est ce que fait depuis quelques semaines à Genève le Mamco. De Barros se retrouve ainsi jumelé avec l’artiste concrète zurichoise Verena Loewensberg, ce qui me semble une bonne idée. Il devient facilement possible de trouver des points de rencontre entre les deux personnalités honorées. Le lien s’opérerait par le truchement du Suisse Max Bill, dont l’influence s’est révélée énorme en Amérique du Sud.

Studio en coopérative

Commençons tout de même par parler de Geraldo de Barros. Né dans une famille modeste, il a réussi à faire des études d’économie. Une discipline hautement politique. L’homme, qui a commencé sa carrière tout en travaillant pour le Banco do Brasil, a toujours voulu créer un art social dans lequel les considérations financières interviendraient peu. Quand il a lancé son entreprise Unilabor en 1954 avec l’aide d’un prêtre-ouvrier dominicain, l’homme a voulu créer une coopérative dont les ouvriers, venus des quartiers périphériques de São Paulo, deviendraient les associés. Bien gérée, la maison a pu éditer de beaux meubles, utilisant généreusement un palissandre de Rio aujourd’hui disparu à cause de la déforestation. La fin d’Unilabor en 1961 est due à l’un des nombreux coups d’Etat dont le Brésil s’est fait le théâtre. Il aboutira dès 1964 à une dictature militaire. Les choses se passent rarement bien dans cet immense pays qui avait au départ tout pour lui. Les sièges, étagères ou coiffeuses portant le label Unilabor sont aujourd’hui devenus de pièces de collections. Des «collectors» recherchés, si vous préférez. Le Mamco a dû aller chercher les siens à Barcelone.

Les tableaux en laque et formica et le mobilier de l’époque Hobjeto. Annick Wetter, Mamco, Genève 2022.

Montée par Paul Bernard avec l’aide de Fabiana de Barros et de Michel Favre, l’exposition fait bien sûr la part belle au peintre et au photographe qui a voulu raccorder le Brésil à la modernité. Tout a vraiment commencé pour De Barros avec la série d’images presque abstraites des «Fotoforma», qui se situent dans la descendance du Bauhaus. Le débutant a pu les présenter dès 1951 au Musée d’art moderne de São Paulo. Ce sont elles qui lui ont permis d’obtenir une bourse. Ce viatique lui a donné l’occasion de voyager en Europe. C’est ainsi que le Sud-Américain a pu rencontrer Max Bill, qui jouait les autorités, comme un François Morellet encore inconnu même en France. C’est par conséquent avec un solide bagage abstrait que de Barros a pu revenir au bercail pour fonder le Grupo Ruptura. Sa modernité devait répondre à celle d’un Brésil provisoirement en plein boom financier. Il y aura ainsi une Exposition internationale d’art concret à São Paulo dès 1956.

La salle des photos, qui rappelle le musée de São Paulo. Annick Wetter, Mamco, Genève 2022.

Cette première partie de l’œuvre se voit évoquée au Mamco par des œuvres des débuts et une grande salle, plongée dans le noir, où se trouvent les photos. L’amateur un peu pointu remarquera que ces dernières lévitent dans les airs. Il sent un rappel du décor du Musée de São Paulo conservant la collection de peinture classique formée par Francisco de Assis de Chateaubriand (1), à la présentation jugée alors révolutionnaire. La rétrospective genevoise peut ensuite passer à la période pop (et donc figurative) de Geraldo de Barros. Le mouvement était mondial dans les années 1960 et 1970. Il resta pour le Brésilien une parenthèse, vite refermée en tant que telle. L’artiste allait opérer un rapide retour aux formes géométriques élémentaires et aux couleurs simples. La nouveauté était alors pour lui l’abandon de la toile et de l’huile. Trop classiques. Celles-ci vont se voir remplacées par des matériaux nouveaux, comme l’émail synthétique ou l’humble formica. Tout le monde (ou presque) avait à l’époque dans sa cuisine une table avec un plateau en formica! Installées aux murs, ces œuvres scintillantes se voient accompagnées par du mobilier issu du nouvel atelier mobilier de Geraldo de Barros: Hobjeto. Il y a notamment là un énorme fauteuil recouvert de cuir noir et son tabouret assorti. Ce duo en impose.

Une coiffeuse de la première période design. Métal et palissandre de Rio. Succession Geraldo de Barros, DR, Momaco, Genève 2022.

L’exposition se voit bien entendu accompagnée par beaucoup de documentation. Une mode lancée il y a bien longtemps par le Centre Pompidou. Le visiteur a droit à une réelle mise en contexte. La chose semble aujourd’hui universellement admise. Elle se voit ici fort bien faite, la famille de Barros gérant au mieux les archives. Il y a donc des photos. Des lettres. Des articles de journaux. De petites maquettes aussi. De Barros aimait à ce que ses clients visualisent leur futur logement, où tout devait se révéler fonctionnel. Cette partie annexe ne phagocyte pas l’exposition. Elle l’éclaire. Elle la complète. Les commissaires ont en effet su montrer ce qu’il faut. Pas davantage. Leur rétrospective reste du coup à taille humaine, sans redites, sans longueurs ni digressions inutiles. Une réussite supplémentaire à l’actif du Mamco, vu le succès de son hommage à Verena Loewensberg présenté un étage plus bas.

La même coiffeuse, dans l’agencement conçu au Mamco. Annick Wetter, Mamco, Genève 2022.

L’institution genevoise se profile du coup toujours davantage comme un musée d’art moderne, et non plus exclusivement contemporain. Lors de sa conférence de presse, en février, le directeur Lionel Bovier parlait même de remonter le temps afin de pouvoir faire défiler tout le XXe siècle. Vu l’immobilisme et le peu de goût pour l’histoire de l’art manifesté en ce moment par le Musée d’art et d’histoire, voilà qui me semblerait une excellente initiative!

(1) La collection du musée de São Paulo a été présentée à Martigny par la Fondation Pierre Gianadda en deux parties distinctes. Les deux expositions se sont déroulées en 1988.

Pratique

«Geraldo de Barros», Mamco, 10, rue des Vieux-Grenadiers, Genève, jusqu’au 19 juin. Tél. 022 320 61 22, site www.mamco.ch Ouvert du mardi au vendredi de 12h à 18h, les samedis et dimanches de 11h à 18h.

 

Paru dans bilan.ch le 25 mars 2022

Nota Bene

Texte de Etienne Dumont /Crédits photo Adrian Moakes & Vanna Karamaounas