
Le Mamco se tourne vers l’Avenir
Le Mamco s'installe dans une ancienne ferronnerie des Eaux-Vives en attendant que les travaux de rénovation du bâtiment qui l'accueille soit rénové. Lionel Bovier a mis en place un programme hors site. La première exposition commence le 5 juin à l’espace SOMA, lieu acquis par Miguela Shama.
Le Mamco se tourne vers l’Avenir
Nomade forcé, le Musée d’art moderne et contemporain s’installe dans une ancienne ferronnerie des Eaux-Vives, rue de l’Avenir. Cette première exposition hors-site fait à la fois le point sur la naissance de l’institution et sur ses futurs objectifs.
C’est une ancienne ferronnerie des Eaux-Vives bientôt reconvertie en centre d’art. Un lieu inédit, immense, que le Mamco va occuper jusqu’au 4 septembre. L’institution se trouvant nomades pendant au moins quatre ans, en raison de la rénovation du Bâtiment d’art contemporain où elle est installée, c’est donc au 32 rue de l’Avenir qu’elle pose ses premières valises. L’endroit appartient à la galeriste Mighela Shama qui ouvrira à la fin de l’année, sous le nom de SOMA, ce gigantesque espace d’exposition de 1000 m² sur deux niveaux à des projets artistiques. « Lorsque je suis arrivé ici, j’ai eu l’impression de n’avoir jamais quitté le Mamco », explique Lionel Bovier, directeur du Musée d’art moderne et contemporain. Rapport à l’ambiance industriel que partage ce lieu avec l’ancienne Société d’instrument de physique, la SIP, qui abrite le musée depuis son ouverture en 1994. Justement.
Lionel Bovier a profité de ce « déménagement » hors les murs pour raconter l’histoire du Mamco dans une petite salle située à l’entrée. « Ces prochaines années vont nous permettre de réfléchir et d’approfondir un certain nombre de problématiques qui sont constitutives du musée. Son historique en est une. Sa place dans l’écosystème en est une autre. Vu que nous ne sommes plus dans le bâtiment où le Mamco est né, c’était l’occasion de raconter comment nous y sommes arrivés. » Une aventure de longue haleine, qui retrace aussi le parcours semé d’embûches de l’art contemporain à Genève avec ses polémiques, ses œuvres dans l’espace public vandalisées, ses atermoiements politiques et ses bonnes volontés souvent privées. Une histoire qui passe par le Musée d’art et d’histoire, l’Association des amis du musée d’art moderne (AMAM) et qui reste indéfectiblement lié à celle du Centre d’art contemporain ouvert en 1974 par Adelina von Furstenberg, qui apparaît sur une photo avec Andy Warhol.
Ce préambule documentaire local donne ainsi le « la » de l’exposition dont le titre renverse la devise du canton Post Tenebras Lux en Psot Nentebras Xul « Pour mettre un peu de désordre. L’idée était de mesurer la pertinence de notre travail depuis toutes ces années, c’est-à-dire de constater si nous avions bien enregistré les scènes qui se sont succédées aussi bien dans nos collections que dans celles de la Ville et du Canton. Et de voir aussi quelles sont les signatures qui nous auraient échappées. Nous avons ainsi fait une quinzaine de visites d’ateliers pour rencontrer les jeunes artistes qui sont présents aujourd’hui afin de trouver ceux qui nous semblent intéressants à suivre pour l’avenir. »
Quelques pièces mises à part, Psot Nentebras Xul n’est donc pas un accrochage des œuvres conservées par le Mamco, celui-ci s’étant déjà déroulé au moment de la fermeture du musée. Constitué aussi d’emprunt fait aux artistes, à des collectionneurs et à des institutions, on parlerait plus volontiers, en empruntant au vocabulaire de l’entreprise, d’une revue « bilan et perspectives ».
Pour le bilan, Lionel Bovier a choisi d’accueillir le visiteur avec les néons de Mai-Thu Perret illuminant le haut corridor en béton qui s’ouvre sur l’espace principal d’exposition. Couloir au bout duquel le spectateur se heurte au coffre arrière de Skylark, la Buick de 1967 de Sylvie Fleury. Une pièce de 1992, emblématique de l’artiste genevoise dans laquelle elle déclare son amour pour les magazines, les Girls Group, Chanel, les rouges à lèvre et les palettes de maquillage écrasées. « Elle avait suscité pas mal d’indignation à l’époque, se souvient le directeur. Aujourd’hui, c’est devenu un classique de l’art des années 90. » La belle américaine est garée juste à côté d’un mirador en bois de Fabrice Gygi et d’une colonne placardée d’articles sur la vie de Silvio Berlusconi, sorte de parodie de la Colonne sans fin de Brancusi par Gianni Motti. Un peu plus loin, une gigantesque toile rose de David Hominal évoque le rapport entre peinture et décor, cette dernière ayant servi au spectacle Hominal / Hominal, performance pensée et réalisée par l’artiste et sa sœur, la chorégraphe Marie-Caroline Hominal. La visite des artistes confirmés se poursuit au sous-sol où la hure accrochée au mur par Valentin Carron - After the Hunting Rush de 2002 – pleure des larmes de vin, juste à côté des sculptures en feuilles de béton de Pierre Vadi.
En ce qui concerne les perspectives, le directeur du musée mise sur des noms qui circulent – Timothée Calame, Lou Masduraud – et d’autres qui le seront sans doute bientôt davantage. Comme Viola Leddi, passée par la HEAD, dont les toiles hyperréalistes représentent des espaces domestiques où s’entremêlent souvenirs intimes, références à la culture italienne et critique de l’image de la femme dans la société. « C’est une artiste qui a un vrai marché et dont les œuvres sont difficiles à obtenir, continue Lionel Bovier. Cette toile nous a d’ailleurs été prêtée par une collection privée de Vienne. Même si ce n’est pas encore trop tard, c’est aussi une manière de nous dire qu’on aurait sans doute dû nous y intéresser avant. »
Les artistes passés sous les radars, il en est aussi question. Comme Bastien Gachet qui travaille depuis une quinzaine d’année et aurait mérité, le directeur l’admet, une plus grande visibilité. « C’est un artiste qui a beaucoup produit pour les autres et qui est doué. Son esthétique assez singulière n’a peut-être pas été assez regardée. » Le visiteur découvre ainsi Keep on dancing Denis de 2017, un radiateur qui ondule, faisant comme la colonne vertébrale d’un animal inquiétant. Et La vie et tout, pièce spécialement conçue pour l’exposition, qui affecte la forme d’un lavabo en céramique. Installé juste en-dessous du puit de lumière qui assurait l’éclairage de cette partie sombre de l’atelier « elle devient le réceptacle de toutes les saletés qui tombent d’en haut. » Un sanitaire blanc hygiéniste qui sert à collecter les déjections. On pense tout de suite à Robert Gober. L’oeuvre de Bastien Gachet, c’est vrai, aurait dû être mieux regardée.
Psot Nentebras Xul, jusqu’au 7 septembre 2025, MAMCO x SOMA, Rue de l’Avenir 32, www.mamco.ch. Le lieu propose un programme riche d’événements consultable sur le site internet du musée. Un bar éphémère, Liaisons, organisé en collaboration avec le chef Florian Le Bouhec, est ouvert au public chaque jeudi jusqu’à 22 heures.