PETIT FLACON EN FORME DE DATTE Art romain, milieu du Ier - début du IIe s. apr. J.-C. Verre soufflé et moulé H : 6.5 cm

Le monde des parfums antiques

Brenno Bottini et Virginie Sélitrenny
17 décembre 2020

Le terme actuel « parfum » nous vient du latin et signifie « par combustion » (perfumum) : il fait allusion surtout à l’habitude de brûler des substances telles l’encens, pratique cultuelle essentielle dans de nombreuses religions antiques. Offert sur un autel, l’encens dégageait un nuage odoriférant que les dieux étaient censés apprécier. 

«... Suivant une autre tradition, Phaon était batelier de profession. Vénus étant un jour venue à sa nacelle pour passer d'un lieu à un autre, Phaon, sans la connaître, la reçut volontiers, et la transporta, avec le plus grand empressement, où elle voulait aller. En reconnaissance de ce service, la déesse lui fit présent d'un vase plein d'une drogue, qui le rendit, dès qu'il s'en fut frotté, le plus beau de tous les hommes. Dès lors, toutes les femmes de Mitylène devinrent amoureuses de Phaon : mais à la fin, ayant été surpris en adultère, il fut mis à mort.» / Elien, Histoires variées, XII, 18. - Trad. : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/elien/12.htm

«…Ici à Chéronée ils distillent des parfums avec des fleurs, le lis, la rose, le narcisse et l’iris ; ceux-ci sont des soins pour la peine des hommes. L’onguent à la rose, si on l’utilise pour enduire les statues de bois, les protège.» / Pausanias, Description de la Grèce, 9, 41, 7. Trad. :  BODIOU L. – MEHL V. (ed.), Odeurs antiques, Paris 201, p. 191.

«…Jette sur lui des couronnes et des fleurs ; que toutes avec lui, que toutes les fleurs aussi meurent, puisqu’il est mort. Répands sur lui les onguents de Syrie, répands sur lui des parfums ; lui qui était ton parfum, Adonis a péri.» / Bion, Chant funèbre en l’honneur d’Adonis, 80-88. Trad. :  BODIOU L. – MEHL V. (ed.), Odeurs antiques, Paris 2011, pp. 214-215.

Il suffit de ces trois brèves citations tirées de la littérature classique et choisies au hasard parmi d’innombrables autres exemples (qui touchent la vie quotidienne, la sphère religieuse et le domaine funéraire), pour prouver à quel point le monde des parfums pouvait imprégner la vie des femmes aussi bien que celle des hommes de l’époque gréco-romaine. 

Cependant,  l’histoire de la parfumerie et le développement de ses techniques naissent bien avant l’époque classique, puisque les premières attestations de l’utilisation de substances odorantes remontent au moins au début de l’Age du Bronze et sont l’un des héritages les plus importants des cultures proche-orientales et égyptiennes : avec les métaux, les textiles et certains produits agricoles (huile, blé et vin en particulier), les parfums ont été l’un des principaux moteurs des grands échanges commerciaux qui ont sillonné toutes les régions du monde antique.

Le terme actuel « parfum » nous vient du latin et signifie « par combustion » (perfumum) : il fait allusion surtout à l’habitude de brûler des substances telles l’encens, pratique cultuelle essentielle dans de nombreuses religions antiques. Offert sur un autel, l’encens dégageait un nuage odoriférant que les dieux étaient censés apprécier. 

Les produits destinés aux soins corporels individuels se présentaient plutôt sous forme de pommades, d’huiles, de baumes ou d’onguents (unguentum) : il y a là une grosse différence avec de nombreux cosmétiques modernes, puisque la composante tactile était toujours indissociable de celle qui devait flatter l’odorat. Semi-solide, le parfum antique impliquait toujours au moins un léger massage ; l’aspect visuel entrait aussi en jeu, puisque, sa consistance huileuse aidant, il laissait la peau lisse et brillante.

Une autre importante différence par rapport à l’industrie moderne des parfums concerne les techniques pratiquées dans l’Antiquité : malgré l’existence d’un commerce « international » concernant certaines des matières premières nécessaires, la production des cosmétiques était le plus souvent une question locale, voire d’un atelier ou familiale (cf. par exemple la découverte d’ateliers de parfumeurs à Délos ou à Pompéi). 

Les techniques de la distillation étant presque inconnues (les Anciens ne savaient pas obtenir l’alcool pur ni réaliser les essences), la fabrication des parfums passait essentiellement à travers la captation des fragrances de toutes sortes de plantes ou résines par un corps gras (enfleurage) : suivant leur nature, les substances aromatiques étaient broyées ou hachées et ensuite simplement chauffées au bain-marie dans un excipient à base d’huile d’olives vertes, de sésame, de ben, d’amandes amères, etc. selon les disponibilités et les nécessités ; l’adjonction d’un astringent rendait le corps gras plus réceptif. Le mélange parfumé était ensuite filtré à l’aide d’un fin tissu pour obtenir le produit cosmétique.

Seuls quelques rares exemples de distillation sont actuellement attestés, par exemple à Chypre à l’Age du Bronze Moyen (atelier de parfumeur de Pyrgos-Mavroraki avec présence de deux alambics en céramique) et plus tard à l’époque romaine, lorsque certaines sources mentionnent des procédés comparables. 

Les recherches sur les parfums antiques ont débuté déjà au XVIIe-XVIIIe siècles, lorsque les savants et les botanistes s’intéressaient en particulier à identifier l’origine des substances végétales qui les composaient. Les premières études, qui se basaient surtout sur la compréhension des documents écrits (épigraphie ou textes antiques) ont été complétées par l’examen de l’iconographie antique (cf. par exemple la fresque avec l’atelier des Amours parfumeurs de la maison des Vettii de Pompéi ou de la maison des Cerfs d’Herculanum) et celle des contenants des substances parfumées, dont l’Antiquité nous a fourni une quantité et une variété impressionnantes d’exemples en formes, matériaux et dimensions. C’est seulement depuis les années ’70 – ’80 du siècle passé, qu’ont connu un grand essor les recherches basées sur les analyses scientifiques des restes conservés dans les vases à cosmétiques : comme l’ont montré en premier les études de la chimiste F. Formenti, les traces non visibles à l’œil nu de substances organiques peuvent encore se trouver sur les tessons même après deux millénaires d’enfouissement sous la terre ou dans un milieu marin. S’il est toujours ardu, voire impossible, de reconstituer la texture et l’odeur d’un parfum antique, grâce à ces travaux on peut parfois savoir quelles substances étaient contenues dans une forme de flacons particuliers utilisés à certaine époque ou à un certain endroit.

PETIT FLACON EN FORME DE DATTE Art romain, milieu du Ier - début du IIe s. apr. J.-C. Verre soufflé et moulé H : 6.5 cm

Parmi les objets exposés dans les vitrines de la galerie Young Collectors, nombreux sont ceux que l’on peut mettre en relation avec le monde de la parfumerie antique : on pense surtout aux innombrables contenants de toute époque et de toute culture (cf.  PETIT FLACON EN FORME DE DATTE ; 20883), mais aussi à des objets de toilette féminine (comme les miroirs, cf. MIROIR A MANCHE;11320) à des pilons avec les palettes utilisées pour broyer les minerais ou les résines qui formaient la base des produits(cf. PALETTE A COSMETIQUES;4930), aux encensoirs dans lesquels les résines étaient brûlées, ainsi qu’à quelques scènes tirées de l’iconographie antique qui concernent ce sujet (cf. LECYTHE A FOND BLANC;20618).

PALETTE A COSMETIQUES Art hellénistique (Bactriane), IIIe – IIe s. av. J.-C. Stéatite/chlorite Dim: 15.3x11.9cm

LECYTHE A FOND BLANC  Art grec (attique), deuxième quart du V s. av. J.-C. (env. 470-450 av. J.-C.) Terre cuite H : 19.8 cm

Dans les cultures proches-orientales ainsi qu’en Egypte, à la fin du Néolithique et à l’Age du Bronze, les vases taillés en toutes sortes de pierres (calcite, stéatite, chlorite, basalte, brèche, etc.) font partie de la vaisselle de luxe, que seules les classes les plus aisées de la société pouvaient se permettre. Les sculpteurs habiles dans cet art ont su créer de véritables chefs-d’œuvre aux formes précises et équilibrées, parfois enrichis de scènes en relief ou de motifs rapportés et taillés dans d’autres sortes de pierre. Grâce à l’imperméabilité de la matière et/ou à l’épaisseur de sa paroi, la vaisselle lithique était particulièrement indiquée pour la conservation non seulement des denrées alimentaires, mais aussi des produits cosmétiques et/ou pharmaceutiques utilisés dans le cadre domestique, religieux ou funéraire (momification) ou pour des soins individuels (cf. pour l’Egypte VASE EN FORME DE GRENADE;17182 PETIT VASE CONIQUE;10652 et pour le Proche-Orient VASE A PARFUM;9966).  

VASE EN FORME DE GRENADE Art égyptien, Nouvel Empire, XVIIIe dynastie, env. XVIe – XIe s. av. J.-C. Pierre H : 6 cm – Diam : 5.8 cm

PETIT VASE CONIQUE  Art égyptien, Nouvel Empire, deuxième moitié du II mill. av. J.-C. Calcite (albâtre) H : 9.8 cm

VASE A PARFUM  Art proche-oriental, milieu-fin du III mill. av. J.-C. Stéatite/chlorite H : 4.2 cm – L : 3.7 cm

En Egypte, et en moindre mesure dans les cultures proche-orientales, il existe une importante classe de petits récipients qui attestent de la large utilisation du kohol (VASE A FARD;21391 - ETUI A KOHOL;3397) : distribué sur le pourtour des yeux, ce produit à base de minerai broyé et mélangé avec un corps gras servait pour le maquillage et surtout pour la protection des yeux, qui étaient particulièrement vulnérables dans ces régions au climat aride et sec. Son emploi était tellement répandu que les statues ainsi que les personnages peints sur les parois des monuments funéraires, religieux ou civils en sont systématiquement ornés.

VASE A FARD Art égyptien, Nouvel Empire, deuxième moitié du II mill. av. J.-C. Pierre noire (granit ?) H : 3.5 cm

ETUI A KOHOL Art proche-oriental, II mill. av. J.-C. Stéatite/chlorite H : 7.5 cm – L : 6.5 cm

Les femmes ainsi que les hommes de l’époque gréco-romaine étaient particulièrement attentifs à leur aspect et à leur hygiène personnelle et en même temps friands de produits cosmétiques, au point que leur déesse de l’Amour et de la Beauté, Aphrodite/Vénus (cf. STATUETTE D’APHRODITE/VENUS;1245), était elle-même étroitement liée au monde des parfums (cf. par exemple l’épisode du batelier Phaon cité plus haut).

STATUETTE D’APHRODITE/VENUS Art romain, IIe s. apr. J.-C. Bronze H : 17.5 cm (avec piédestal)

Déjà pendant l’Age du Bronze récent les Mycéniens connaissaient une forme de vase particulière apte à contenir et transporter de petites quantités de substances précieuses, il s’agit de la jarre à étrier de petites dimensions (cf. JARRE A ETRIER;16913). Mais c’est bien plus tard, à l’époque orientalisante que les artisans de la ville de Corinthe ont perfectionné deux types de vases, l’aryballe (de forme plutôt sphérique) et l’alabastre (dont la forme allongé imitait celle des exemplaires égyptiens en albâtre, cf. ALABASTRE ORNE D’UN CYGNE;18673), qui étaient spécialement conçus pour contenir et transporter les huiles et les pommades que les athlètes avaient l’habitude d’utiliser avant leurs exercices et après l’entraînement, pour se nettoyer. Ces deux récipients avaient en commun la forme discoïde et large de leur embouchure, qui permettait de répandre facilement et uniformément leur contenu visqueux sur la peau. 

JARRE A ETRIER  Art grec (mycénien/helladique), env. XIVe - XIIIe s. av. J.-C.  Terre cuite  H : 10 cm

ALABASTRE ORNE D’UN CYGNE  Art grec archaïque (Corinthe), fin du VII - début du VI s. av. J.-C. Terre cuite H:7.8 cm

L’une des plus importantes variantes des aryballes et des alabastres est représentée par les vases dits plastiques, c’est-à-dire des petits récipients à parfums pourvus d’un goulot à disque et faits généralement dans un moule : produit typique des ateliers de potiers de Grèce orientale (Samos, Rhodes), ils représentaient toutes sortes de sujets, comme des figures humaines ou des parties du corps (tête, jambe, phallus, etc.), des animaux, des fruits, des êtres mythologiques (cf. VASE PLASTIQUE MODELE EN FORME DE BUSTE DE GORGONE;17205 qui est modelé en forme de buste de Gorgone).

VASE PLASTIQUE MODELE EN FORME DE BUSTE DE GORGONE Art grec archaïque, milieu du VIe s. av. J.-C. Céramique. H : 10.9 cm

Au VIet au Ve siècles av. J.-C., le lécythe était un type particulier de vase que les habitants d’Athènes destinaient aux rites funéraires. De forme généralement cylindrique et mince, pourvus d’une anse haute et arquée, les lécythes contenaient les huiles et les aromes nécessaires à la toilette des défunts : ces petites bouteilles étaient ensuite brûlées pendant les funérailles, simplement exposées sur la tombe ou déposées dans la sépulture comme éléments du mobilier funéraire (cf.LECYTHE A FOND BLANC;20618). Les scènes les ornant sont en relation avec le monde funéraire : passage du défunt vers l’au-delà, recueillement des vivants sur le tombeau, monde dionysiaque, etc.

Le miroir était un objet très fréquemment dans la toilette, surtout féminine. A l’époque romaine, sa typologie était très variée et il existait différentes sortes de miroirs, adaptées aux différentes possibilités des acquéreurs. Les plus fréquents, petits et de forme ronde, étaient montés sur un manche (cfMIROIR A MANCHE;11320), d’autres étaient carrés, d’autres encore, plus grands, se trouvaient fixés sur les parois domestiques et permettaient de se voir en entier. Souvent, il s’agissait d’un bien de grand luxe, comme le prouvent les exemplaires en argent massif qui appartiennent à certains des trésors d’argenterie les plus célèbres (le trésor de Boscoreale, par exemple, en compte deux). D’autres miroirs étaient en bronze ou en d’autres métaux et ensuite recouverts d’une mince feuille d’argent (cf. MIROIR A POIGNEE;2558).

MIROIR A MANCHE Art romain, Ier – IIe s. apr. J.-C. Bronze H: 21.2 cm

MIROIR A POIGNEE Art romain, IIIe s. apr. J.-C. Argent massif D : 11.1 cm

L’« invention » de la canne à souffler le verre a eu lieu vers le milieu du premier siècle avant notre ère, certainement dans la région syro-palestinienne. Les conséquences de cette innovation technique sont remarquables, puisque très rapidement, le verre, qui était jusqu’alors destiné aux objets de luxe, est devenu une matière pour fabriquer des récipients pratiquement en série. Ainsi, à partir de la fin de l’époque hellénistique, la terre cuite a été remplacée par le verre, en particulier dans la fabrication des récipients aptes à conserver et à transporter certaines denrées alimentaires ainsi que les produits pharmaceutiques et cosmétiques. Dès le début de la période impériale, la variété des flacons à parfums et des balsamaires est impressionnante, aussi bien pour les formes, que pour la couleur du verre ou la technique utilisées (cf. PETIT FLACON EN FORME DE DATTE;20883 - FLACON HEXAGONAL ;33684). Un grand nombre de ces flacons avaient aussi un emploi funéraire, comme contenants pour les huiles offertes aux défunts.

FLACON HEXAGONAL  Art romain, Ier s. apr. J.-C.  Verre opaque bleu clair  H: 8.4 cm.

Malgré les grands changements historiques et le recul de nombreux échanges commerciaux provoqués par le déclin de l’empire romain, la demande en substances parfumées n’a cessé ni en Orient ni en Occident, comme l’attestent, encore une fois, de nombreux objets archéologiques, tels des encensoirs, utilisés dans la liturgie chrétienne, mais également dans le monde islamique (cf. ENCENSOIR SPHERIQUE AJOURE;12557), des pilons en pierre (souvent taillés en forme de pouce cf. PILON EN FORME DE POUCE;12607) et les nombreux flacons en verre byzantins ou islamiques, héritiers de la longue et riche tradition romaine des balsamaires  (cf. FLACON A PARFUM OU A KOHOL;30556 - FLACON A PARFUMS (« FLACON MOLAIRE »);32034 ).

ENCENSOIR SPHERIQUE AJOURE Art islamique (Espagne), XIIe s. apr. J.-C. Bronze H : 14.5 cm

PILON EN FORME DE POUCE Art romain ou byzantin, IIIe – VIe s. apr. J.-C. Pierre rouge (« rosso antico » ?) L : 12,.2 cm

FLACON A PARFUM OU A KOHOL Art islamique, IXe - XIe s. apr. J.-C. Verre H : 13 cm

FLACON A PARFUMS (« FLACON MOLAIRE ») Art islamique, IXe – Xe s. apr. J.-C. Verre transparent H : 5.6 cm

Pour terminer avec les objets de la collection, il faut mentionner un petit flacon islamique en verre bleuté qui présente non seulement une forme particulière puisqu’il est double, mais en plus, grâce à son bouchon (en plomb ?), il contient celle qui pourrait encore être la substance originale, actuellement séparée en une masse solide et une partie liquide : malheureusement, à ce jour, aucune analyse de sa composition n’a pu être effectuée (cf.  VASE A PARFUM;13829)

VASE A PARFUM Art islamique, XIIIe s. apr. J.-C. Verre H : 10.9 cm

Pour en savoir plus

Depuis quelques années le sujet est à la mode et la bibliographie est devenue imposante. V. quelques ouvrages récents et complets :

AAVV., Parfums de l’Antiquité, La rose et l’encens en Méditerranée, Mariemont, 2008.

BODIOU L. – FRERE D. – MEHL V. (ed.), Parfums et odeurs dans l’Antiquité, Rennes, 2008.

BODIOU L. – MEHL V. (ed.), Odeurs antiques, Paris, 2011 (recueil de textes classiques sur le parfum dans l’Antiquité).

 

Pratique

Young Collectors – Rue Etienne Dumont 9 – 1204 Genève – Tel. +41 (0)22 301 9378

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