Musée de la Chasse et de la Nature

Le Musée de la Chasse à Paris Chefs-d’œuvre de la collection Mellon

par Etienne Dumont
23 octobre 2018

Le Musée de la chasse se penche sur la "Country Life" anglaise.

© Virginia Museum of Fine Arts (VMFA)

Ce n'est pas un galop d'essai. Vu son thème, le Musée de la chasse (qui est aussi devenu celui de la nature pour calmer les esprits) parle depuis longtemps du cheval. Pas étonnant si ce dernier tient la vedette dans l'actuelle exposition «Country Life». L'accrochage propose des tableaux allant des débuts du XVIIIe siècle aux années 1950. Le temps qu'un monde faussement rustique se constitue, s'évanouisse et se délite. Dans la douleur, bien entendu. Vous vous souvenez peut-être comme moi des protestations distinguées qui avaient suivi l'interdiction de la chasse à courre en Ecosse dès 2002, puis dans le reste du Royaume-Uni trois ans plus tard. Un mode d'existence, pour ne pas dire une façon de penser, allait s'envoler. «La prohibition ne profitera même pas aux renards», avait alors déclaré Mike Hibbard, président des supporteurs de la vénerie. «Ils vont de toute manière disparaître progressivement.» C'est ce qui était déjà arrivé aux cerfs britanniques à la fin du XVIIe siècle, comme l'explique le catalogue de «Country Life».

Ce livre raconte aussi l'histoire de cette nature revue par des nobles et de riches citadins, pour lesquels elle devenait une sorte de jardin d'agrément géant. La chasse avait été limitée aux grands propriétaires par Charles II, mort en 1685. Il s'agissait donc d'un privilège. Notez que même dans l'Angleterre moderne, on reste moins focalisé sur le principe d'égalité comme en France que sur celui de liberté. Ducs et comtes, qui menaient un train de vie que la Cour ne pouvait guère se permettre, allaient donc chasser dans les bois en même temps qu'ils faisaient adjoindre de fabuleux parcs à leurs châteaux. Il fallait bien en laisser de tout cela une trace visuelle. Si Desportes et Oudry étaient à Versailles au service du roi, il se forma des générations de peintres outre-Manche pour glorifier les particuliers, leurs jardins, leurs exploits cynégétiques et leurs étalons. L'exposition peut ainsi débuter avec un John Wotton brossé vers 1715. Un garçon d'écurie y tient un cheval bai.

La référence George Stubbs 

Le parcours se poursuit avec des images similaires, de qualités diverses. Tout le monde ne possède pas le talent de George Stubbs (1724-1806), qui reste aujourd'hui encore la référence du genre. Il y a également au Musée de la chasse et de la nature des toiles montrant des courses de chevaux. Apparues à la fin du XVIIIe siècle, ces dernières vont créer un immense intérêt qui deviendra à la fois populaire et international. Sur place, il ne s'est pas démenti jusqu'à nos jours. Ascott et Epsom restent des sortes de Mecque du sport équestre et de la mode féminine. Ascott surtout. La presse britannique se fait chaque année un plaisir de publier les photos des chapeaux les plus extravagants vus sur les pelouses. Là aussi, la compétition se révèle très serrée. 

D'autres peintures complètent la sélection offerte par Claude d'Anthenaise et Karen Chastagnol. Ce choix comprend assez curieusement un Monet, un James Tissot ou un Berthe Morisot, dont la présence se comprend intellectuellement moins que celle d'Edgar Degas, cet obsédé des purs-sangs et des jockeys. La chose s'explique par l'origine de l'ensemble. Tout provient du Virginia Museum of Fine Arts de Richmond, aux Etats-Unis. Il s'agit d'une petite partie de la collection donnée à l'institution par Paul Mellon. Un monsieur puissamment riche qu'il ne faut pas confondre avec le milliardaire Andrew Mellon, dont il était le fils unique. Andrew Mellon avait été le bienfaiteur en chef de la National Gallery de Washington. Mort à 92 ans en 1997, Paul a doté plusieurs musées, dont Richmond, d’œuvres anglaises ou impressionnistes. Le passage de mains s'est terminé après la disparition de sa seconde épouse Bunny, qui a atteint l'âge respectable de 104 ans.

Un décor d'écurie

Difficile de reconstituer à Paris l'ambiance un brin campagnarde du domaine Mellon, lui montant à cheval et elle s'occupant d'horticulture. Le Musée de la chasse et de la nature ne ressemble pas davantage au Virginia Museum of Fine Arts. Aucune importance! L'institution privée parisienne possède un sens inné du décor. Il suffit de visiter ses salles permanentes, en se disant que tout ça, en dépit du cadre formé par un hôtel particulier du XVIIe siècle, n'est que reconstitutions. La grande salle temporaire du rez-de-chaussée s'est donc vue aménagée en écurie de luxe, avec des boxes. Ceux-ci ont le mérite, outre de faire vrai, d'offrir davantage de cimaises. Chacun d'eux devient un petit espace thématique sur cette vie (idéalisée) à la campagne. Je rappelle à tout hasard qu'une revue nommée précisément «Country Life» existe depuis 1897. Elle perpétue un monde qui n'a pas tout à fait disparu des comtés anglais et écossais, même si «la débutante du mois», présentée avec une grande photo, n'est plus de mise comme vers 1960.

Le visiteur peut ainsi passer d'un équipage immortalisé par Sir Francis Grant aux chevaux tirant la voiture de George III vus par Richard Barrett Davis, en passant par l'épagneul suivant une piste de George Stubbs. Sir Alfred James Munnings représente les derniers feux du genre dans les années 1940 et 1950. C'est le moment où des châteaux sont démolis dans tout le pays sous les coups de boutoir des «tories», alors très socialistes. Delacroix, Géricault ou Princeteau (moins célèbre, celui-là!) apportent le versant français. Il faut de tout pour faire un monde dans cette «sporting painting» qui plaisait tant à Paul Mellon. Une peinture bis pour certains. C'est un jugement un peu sévère. Disons que le sujet importe en général davantage que son traitement. Normal. Il faut imaginer de telles œuvres non pas sur les murs d'un musée, mais dans la quiétude dans un salon masculin, quelque part entre le verre de «scotch», le canapé-club en cuir capitonné et le cigare pour gentlemen.

 

 

Pratique

«Country Life», Musée de la chasse et de la nature, 62, rue des Archives, Paris, jusqu'au 2 décembre. Tél. 00331 53 01 92 40, site www.chassenature.org Ouvert du lundi au dimanche de 11h à 18h, le mercredi jusqu'à 21h30.

 

Paru dans Bilan.ch le 18 octobre 2018 

 

Etienne Dumont