"Les dessous de Genève"exposition des SIG au pont de la Machine

par Etienne Dumont | L'ART A GENEVE
27 février 2019

Qu'y a-t-il sous nos pieds ? Une infinité de couches. Sous les installations modernes se trouvent des caves anciennes, des restes romains et même un sous-sol préhistorique plein de fossiles.

J'ignore si l'envers vaut l'endroit. Je sais en revanche que les dessous intéressent davantage que le dessus. Nimbés de mystère, ils donnent une impression de vérité. Depuis le 2 novembre et jusqu’au 22 avril, au pont de la Machine, les Service industriels genevois (SIG) proposent «Les dessous de Genève» dans leur lieu d'exposition. Il a cette fois été exploité au maximum grâce à une scénographie en forme de galeries de Raphaèle Gygi. Près de cent mètres de cimaises ont été créés. Dans le noir bien sûr! Il fallait pouvoir aborder de nombreux thèmes. L'avantage, avec les dessous, c'est qu'il en existe toujours plusieurs couches.

La citerne du Petit Miolan à Choulex.  ©  le comité d'exposition

A la tête du projet, une historienne de l'art. Je connaissais Babina Chaillot Calame par les Journées du patrimoine, dont elle est longtemps restée la cheville ouvrière à Genève. Elle a ici prolongé ses recherches. «Tout est parti en 2011 avec un programme intitulé «Un monde sous nos pieds». C'était l'occasion de promener les visiteurs des Journées dans des lieux normalement dérobés au regard. Je pense à la galerie eu bastion de Saint-Antoine, le vestige le plus accessible des kilomètres de souterrains qui reliaient en profondeur les fortifications de la ville.» J'y étais. Je me souviens. Douze personnes étaient admises à la fois, alors qu'il y avait à chaque fournée près de cent candidats. «J'ai pu constater que le thème passionnait les gens. Aussi, lorsque les SIG m'ont proposé une exposition, j'ai sauté sur l'occasion.»

© Ceux d'en face, Genève

Une exposition bouclée en neuf mois

Il y avait un créneau libre au pont de la Machine. «Il fallait mener le projet à bien en neuf mois.» Une vraie grossesse. «Je disposais de matière première, mais je devais aller au-delà. Il me fallait offrir de nouvelles découvertes. Le sujet est fabuleux. Le sous-sol forme l'empreinte en négatif de notre histoire.» Une affaire par ailleurs complexe, d'où la nécessité de collaborations. C'est que Babina Chaillot Calame est vraiment allée au fond des choses. Elle a commencé avec la géologie. «Il fallait décrire au public les sols dans lesquels notre passé s'est inscrit.» Le Muséum d'histoire naturelle a fourni un premier mur qui commence loin, loin dans la préhistoire. Il y a là des textes allant du trias au quaternaire. Il demeure cependant des traces physiques de nos mers tropicales enfuies. Ou enfouies. «L'exposition peut montrer, en provenance de l'actuel bassin lémanique, des dents de requin fossiles ou une empreinte de feuille de palmier.»

Sur cette base se greffe l'archéologie, «avec un gros saut jusqu'à l'époque romaine». Ici, la commissaire a œuvré avec le service cantonal chargé des fouilles. «Il fallait bien sûr pratiquer des choix. Elire quelques sites. Nous sommes partis sur ceux de Compesières ou de Sézegnin pour ce qui est des nécropoles. Comme l'eau, dont la distribution fait aujourd'hui partie des attributions des SIG, allait être un de nos grands thèmes, il nous fallait bien sûr citer l'aqueduc venant des Voirons. On en a retrouvé des traces.» Etrange idée que de lancer un tel travail de Romains à côté d'un lac... Puis vient le haut Moyen Age. «Là, je n'allais pas trop insister. Plusieurs églises offrent en tout temps la visite de leurs restes archéologiques.»

© Jay Louvion

Le tour des caves

Puisque nous sommes au Moyen Age, restons-y. Il subsiste des caves sous l'actuelle Vieille Ville. «Là, les choses se sont révélées compliquées. Certains collègues historiens me signalaient des adresses dont ils n'étaient plus très sûrs. Il y avaient vu, quelque part, il y a dix ou vingt ans...» Seulement voilà! Le temps a fait ses ravages. Il y a l'oubli d'une part et les transformations de l'autre. Des sous-sols ont été modifiés. Utilisés. Remplis. «Il nous fallait de plus l'autorisation de propriétaires souvent difficiles à joindre.» Le plus beau cellier visible au pont de la Machine est celui sous l'Alhambra. Un miraculé. «Il a failli disparaître avec toute la rue ancienne en 1920. En 2014, lors des travaux de rénovation, la commission des sites a dû se battre pour sa conservation. A juste titre, du reste. C'est l'une des plus anciennes caves subsistantes de Genève.» 

Il y en a d'autres dans l'exposition. Viticoles notamment. «Un tel lieu a longtemps constitué un signe de richesse. Creuser coûtait cher. Les Calandrini, avec leurs deux étages de caves aux piliers sculptés à la Maison Tavel pouvaient en remontrer à tout le monde.» Mais nous voici déjà plus tard, dans la République qui a duré, je le rappelle aux débutants, de 1536 à 1798. «Nous avons cette fois parcouru la rue Beauregard ou celle des Granges sous les belles maisons construites au XVIIIe dans des remblais.» A l'époque, la cuisine restait encore en sous-sol, où travaillait une partie du personnel. La chose peut choquer mais j'ai le souvenir, dans mon enfance, de concierges presque troglodytes. Une petite fenêtre, en haut des murs, leur dispensait un jour assez maigre. «Il existe une histoire sociale du sous-sol.» Babina Chaillot-Calame n'allait bien sûr pas s'arrêter aux immeubles bourgeois du XIXe. L'exposition offre aussi bien des glacières («il n'en subsiste plus que des traces») que des champignonnières. «Le plus étrange reste la construction souterraine de l'actuelle Fondation Hardt à Vandoeuvres, dont le destination précise reste inexpliquée.»

© Pierre Vallier

Gaine technique et autoroute de contournement

Et puis il fait bien parler d'aujourd'hui! Un monde bourgeonnant. Les cimaises se devaient de raconter la gaine technique, qui fut l'un des plus longs chantiers genevois dans une ville où il demeurent pourtant rarement courts. L'autoroute de contournement. «Là, c'est incroyable qu'il subsiste si peu d'archives. L'entreprise Zschokke, en charge des plus gros chantiers, n'a rien gardé de ses campagnes photographiques.» Les parkings ne pouvaient se voir oubliés, à commencer par le plus ancien, celui de Rive. «Celui de Saint-Antoine a marqué un tournant dans la conscience genevoise. La découverte de murs des fortification a amené leur conservation. Un étage de voitures a été sacrifié. C'est la première fois que l'histoire l'emportait sur l'utilitaire.» Et puis il y a l'actuel CEVA et ses gares. Un serpent de mer qui fait aujourd'hui son chemin sous terre. 

Tout cela rentre au chausse-pied dans l'espace imparti. Sans impression de surcharge. L'abondance donne plutôt une impression de richesse. Parce qu'il y a encore d'autres choses, bien entendu! Je ne vous ai pas parlé des coffres de banques, ni des substructions des villas de Cologny (1). Ces dernières ne pouvant pas dépasser un certain gabarit, il faut bien qu'elles fassent leur trou. «Tout cela n'est bien sûr bas bon pour l'écologie. A force de bétonner, on détourne les eaux de leurs cours. Il faudrait mieux utiliser les sols.» Babina Chaillot Calame parle d'or. L'ennui c'est que c'est plutôt l'argent qui domine dans les riches campagnes suburbaines...

(1) Je vais être honnête. De ces dernières, le curieux ne découvre en fait rien au Pont de la Machine.

 

Pratique

«Les dessous de Genève», Quartier Libre SIG, pont de la Machine, Genève, jusqu'au 22 avril 2019. site www.sig-quartierlibre.ch Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 17h, les samedis et dimanches de 10h à 17h. 
 

Paru dans Bilan.ch le 1er décembre 2018

 

Etienne Dumont