Paris va à nouveau vivre une folle Semaine du Dessin dès le 25 mars. Suivez le guide !

par Etienne Dumont
24 mars 2019

Salon, ventes et expositions. C'est presque l'overdose. Il y aura à vendre entre 4500 et 5000 dessins aussi bien anciens que modernes ou contemporains. Comment faire son choix ?

C'est reparti pour un tour! Paris va vivre sa Semaine du Dessin. Un événement unique au monde, même s'il en existe un avatar new-yorkais en janvier et un autre londonien début juillet. Alors que les imitations anglo-saxonnes restent exclusivement commerciales, il existe en effet dans la capitale française des expositions dans des musées et des visites privées où rien n'est par principe à vendre. Il y aura donc de quoi faire dès le 26 mars, en sachant qu'il faudra néanmoins choisir. Deux yeux, deux pied, un porte-monnaie. Le principe devient finalement le même que dans un festival.

Tout provient et tout tourne comme de coutume autour du Salon du Dessin, créé par quelques marchands (dont beaucoup ont disparu depuis) en 1991. Cette petite foire, qui a dû sauter un tour en 1994, a trouvé son logis apparemment définitif en 2014. Elle se déroule au Palais Brongniart, autrement dit dans l'ancienne Bourse désaffectée, puis réaffectée à des manifestations temporaires. Un endroit magnifique, mais finalement petit. En jouant du chausse-pied, les organisateurs ont réussi à y faire entrer 39 participants, tirant au sort l'emplacement de leur stand. Il y aura du 27 mars au 1er avril 2019 trois Suisses parmi ces spécialistes du papier (Arturo Cullar, Dittesheim & Maffei, Marie-Laure Rondeau). Les propositions de l'ex-Bourse tendent toujours plus vers le moderne. C'est en partie à cause de la raréfaction des belles pièces anciennes happées par l'aspirateur des musées internationaux. Certains marchands plus classiques préfèrent aussi rester chez eux. Je citerai Nicolas Schwed, Jean-Christophe Baudequin ou de Benjamin Peronnet, qui se lance cette année après avoir dirigé le département spécialisé de Christie's. Toujours est-il que le Salon, aujourd'hui présidé par Louis de Bayser, annonce plus de mille dessins en tous genres, avec une gamme de prix tendant vers le haut.

Le salon du Dessin dans l'ancienne Bourse. Une image de l'édition de 2017.

Les contemporains au Carreau du Temple

Le Salon a toujours accueilli des modernes, voire des contemporains. Le médium devenant très à la mode chez les jeunes artistes, revenus à des pratiques plus traditionnelles, Drawing Now a vu le jour il y a douze ans sous l'impulsion de Christine Phal. Cette foire a aussi commencé de manière itinérante, squattant non pas les grands hôtels comme le Salon, mais des immeubles voués à de lourdes transformations. L'un d'eux a été le Carreau du Temple, qui s'est gentryfié depuis. C'est là qu'un Drawing Now embourgeoisé est venu se loger de manière permanente en 2014. Il s'agit d'une foire abondante. Pour sa treizième édition, elle annonce du 28 au 31 mars 72 galeries, venues de 14 pays. Cela fera, selon une estimation pratiquée à la louche, environ 2000 feuilles. Durant les quatre jours de la foire, des performances sont prévues. Cela dit, ce salon fait le profil un peu plus bas depuis que Johana P.R. Neves a remplacé Carine Tissot (aucun rapport avec la Karine Tissot romande). Un peu «pushy», cette dernière, qui s'occupe aujourd'hui du Drawing Hotel de la rue de Richelieu, s'appliquait chaque année à monopoliser la presse. Le dessin, c'est nous.

Drawing Now au Carreau du Temple. ©Emmanuel Nguyen Ngoc fournie par le Carreau du Temple.

Il restait visiblement sinon de la place, du moins un interstice. Plusieurs foires de poche se sont succédé au 60, rue de Richelieu, dans un bel immeuble avec des verrières au fond d'une cour. L'actuelle mouture, qui va connaître sa sixième édition du 29 au 31 mars, s'appelle DDessin. Elle regroupe des galeristes ne faisant que (ou pratiquement que) les artistes émergents. Le concept développé par Eve de Medeiros se révèle sympathique. Les prix plus doux qu'à Drawing Now. Certains achats participent du coup de cœur. D'autres du soutien. A vue de nez, je dirais que se retrouvent là sur deux étages une vingtaine de participants, aux stands mal distincts les uns des autres. Il doit y a voir environ 600 feuilles, mais certains amènent des cartables. La chose a cependant atteint le niveau professionnel. Il y a quelques années, un quatrième salon avait vu le jour. Il restait destiné aux élèves des écoles qui présentaient leurs travaux quelque part au Marais. Cette louable initiative n'a selon moi pas été renouvelée, mais je ne sais pas tout.

De Christie's à Artcurial

La Semaine, qui existe en tant que telle depuis 1999, offre comme de juste le prétexte de ventes aux enchères. Christie's et Artcurial dominent toujours le lot, Sotheby's se veut cependant bien présent cette année. La multinationale met en vente une centaine de feuilles modernes assez prévisibles dans le genre chic et cher. Christie's a décroché, comme je vous l'ai déjà dit, une partie des œuvres possédées par le Genevois Jean Bonna. Ce sera une dispersion, à tous les sens du terme. Un peu à Paris le 27 mars. La suite à Londres. Puis à New York. Il y a là quelques gros morceaux, l'estimation la plus lourde allant à une tête de femme de Raffaelino del Colle tracée à la sanguine dans les années 1530 (entre 250 000 et 350 000 euros). Les dessins non-Bonna semblent très honorables. La multinationale organisera parallèlement le 28 mars une vente moderne. Elle se verra dominée, question prix, par un Pissarro et un Chagall qui me paraissent aussi laids l'un que l'autre (entre 400 000 et 600 000 euros). Il s'agit bien sûr là d'un avis personnel.

Aucun poids lourd chez Artcurial, qui organisera le soir du 27 mars une vente globalement vouée aux maîtres anciens. Un bon catalogue, avec de bonnes choses s'adressant, comme on dit dans ces cas-là, aux «vrais collectionneurs». Dans le genre haut de gamme tout de même. On reste chez Artcurial qui constitue sans doute aujourd'hui la plus dynamique des maisons françaises. Le 28, à Drouot, la vente Millon sentira davantage le souk, avec ce que la chose offre de plus détendu et de plus convivial. Cela dit, le catalogue de dessins anciens que j'ai consulté en ligne a l'air plutôt bien. Le 29 mars viendra le tour d'Ader. Un ensemble très correct de pièces anciennes ou plus récentes, également découvertes sur mon ordinateur. Il y a aussi des dessins plutôt modestes le 27 mars chez Thierry de Maigret. D'autres le 28 chez Mirabaud et Mercier. D'autres encore le 27 chez De Baecque.

Du Petit Palais à Cognacq-Jay

Je n'ai bien sûr pas les chiffres, mais je sais encore faire des additions. Il y aura, selon moi, entre 4500 et 5000 dessins à vendre en quelques jours. La chose tiendra de la prouesse, si l'on sait que le marché intérieur français demeure atone depuis maintenant des mois. Incertitudes politiques et financières. Menaces fiscales. Morosité sociale. Manifestations et grèves. Il faudra du coup compter sur les clients étrangers, alors même que les Américains ne bougent plus beaucoup depuis des années. America first!

Cela dit, assez parlé de gros sous. Qu'y a-t-il à voir sinon pour rien, du moins en payant le seul billet d'entrée? Eh bien, il reste le fondamental Lequeu du Petit Palais, dont je vous ai parlé, comme d'ailleurs des dessins léornadesques du Cabinet Jean Bonna (tiens, le revoilà) à l'Ecole nationale supérieure des beaux arts. La Fondation Custodia abrite toujours des fleurons du Musée Pouchkine de Moscou. Bonbonnière XVIIIe siècle, Cognacq-Jay présente des dessins néo-classiques venus de Montpellier. Dans un genre plus contemporain et plus brutal, Beaubourg rend depuis peu son hommage à Stéphane Mandelbaum, assassiné à 25 ans en 1986. Crime crapuleux. Frissons garantis. Je n'ai pas besoin de vous faire un dessin.

Les sites

Pour vous y retrouver, tapez www.salondudessin.com puis www.drawingnowartfair.com puis www.ddessiparis.fr puis www.christies.com puis www.artcurial.com puis www.millon.com 

Toute une vente pour Jean-Jacques de Boissieu

Il me faut encore parler de la vente Aguttes, une honorable maison fondée à Neuilly en 1974. C'est à elle qu'a été confié cinquante œuvres de Jean-Jacques de Boissieu (1736-1810). Le Lyonnais est avant tout connu comme graveur. Une exposition lui a du reste été dédiée à Genève par le Cabinet des Estampes vers 1990. Il en a résulté la publication en 1994, par nos Editions du Tricorne, d'un catalogue raisonné des gravures de l'artiste, dû à Marie-Félicie Perez. Un ouvrage faisant référence.

Madame de Boissieu couvrant de fleurs son dessinateur de mari. Photo Aguttes.

Les descendants ont donc confié à Aguttes, pour une vente vespérale le 28 mars à Drouot, un lot comprenant non seulement des dessins mais quelques beaux tirages et même une peinture. Beaucoup de sujets tournent autour de la vie familiale de l'artiste. Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer son épouse couronnant son buste de fleurs. Un triomphe du sentiment bien dans le goût du XVIIIe siècle finissant. La courte exposition des 27 et 28 mars deviendra du coup d'un des événements de la Semaine du Dessin. Ce sera muséal, même si Drouot tient toujours du foutoir.

A la suite des cinquante numéros. Aguttes procédera à une seconde vacation de dessins anciens. Un choix très correct, avec quelques prix ambitieux. Il y a aura un Greuze, un Le Brun préparatoire à la galerie d'Apollon au Louvre, un Guerchin et d'autre feuilles importantes dont un Gian Domenico Tiepolo. Bref. Il ne faudra pas vider toutes sa tire-lire au vernissage du Salon le 26 mars! (www.aguttes.com)

 

Paru dans Bilan.ch le 20 mars 2019

 

Etienne Dumont