Picasso, l'atelier du Minotaure

par Vanessa Morisset
19 septembre 2018

On se trouve nez à nez avec une série de photographies exprimant l'inventivité malicieuse de l'artiste : Picasso, la soixantaine, en short de bain, est affublé d'un masque de taureau en papier mâché.

L’artiste le plus célèbre du XXe siècle et un thème mythologique pas moins connu, les ingrédients sont réunis pour une exposition d’été séduisant le plus grand nombre, tant les familles que les érudits, même les novices en matière d’art moderne. Picasso, l’atelier du Minotaure est a priori comme ces monographies de l’artiste qui se multiplient de Paris à Montpellier, égrenant chacune l’une de ses passions notoires, activités, périodes selon ses couleurs et ses compagnes, lui qui en a eu tant. Par conséquent, lorsque l’on connait un peu son œuvre, on ne s’attend pas à de grandes découvertes.

Pourtant dès l’entrée, on se trouve nez à nez avec une série de photographies exprimant l’inventivité malicieuse de l’artiste : Picasso, la soixantaine, en short de bain, est affublé d’un masque de taureau en papier mâché qu’il a confectionné, pour jouer, pour créer une œuvre, on ne saurait dire, les deux ayant été étroitement liés tout au long de sa carrière. Il s’avère que ce sont des photographies pour le magazine américain Life, mais qu’il serait intéressant d’interpréter rétrospectivement comme des traces d’une proto-performance (à la date des prises de vue, 1949, on ne parle pas encore de performance artistique) d’un Picasso toujours créatif, même face à des journalistes des mass media.

 

Charles Edouard Chaise Thesee vainqueur du Minotaure vers 1791 © Musees de Strasbourg A Plisson

 

L’exposition déploie ensuite quelques aspects du thème du Minotaure traité en peinture et en sculpture avant Picasso, avec des œuvres de qualité, par exemple le tableau néo-classique Thésée vainqueur du Minotaure de Charles Edouard Chaise (1791) prêté par le Musée des Beaux-Arts de Strasbourg ou des dessins et peinture de style symboliste de Gustave Moreau (seconde moitié du XIXe siècle, Musée Gustave Moreau, Paris). Et, décision tout à fait louable, lorsque les œuvres dont le déroulé de l’exposition avait besoin n’ont pu être déplacées pour des raisons de fragilité, les commissaires ont eu recours à des substituts. C’est notamment le cas de l’incontournable dessin sur papiers collés, première apparition de la figure du monstre dans l’œuvre de Picasso, intitulé tout simplement Minotaure (1928) du Musée national d’art moderne, remplacé par une tapisserie de la Manufacture des Gobelins réalisée à partir de la composition originale. A mi-parcours est projeté un film rare, Visit to Picasso de Paul Haesaerts (1949), réalisateur qui pour la première fois le filme en train de peindre par transparence sur une vitre, donc avant Clouzot et son Mystère Picasso. Une grande salle présente des œuvres destinées à la revue Minotaure (1933-1939) de Skira et Tériade (à laquelle le Musée Rath de Genève avait consacré une rétrospective, pour ceux qui s’en souviennent, il y a — il est vrai — 30 ans !) parmi lesquelles la couverture du numéro 1 par Picasso, ainsi que d’autres œuvres d’artistes liés à l’époque à la revue tels que Miró, Masson, Matisse. Picasso, l’atelier du Minotaure offre ainsi un bel aperçu de l’approche du thème par Picasso et ses contemporains, essentiellement au cours des années 1930. Mais si on observe encore plus précisément les œuvres exposées, on découvre de vraies merveilles comme une série d’eaux-fortes où Picasso représente, outre la figure du Minotaure, des scènes d’atelier comprenant ça et là des dessins de sculptures qui renvoient à ses recherches personnelles dans le domaine des volumes. On y voit en effet évoluer des formes de sculptures plus ou moins réalistes ou stylisées, d’une manière pas si éloignée des Jeannette de Matisse, devenant ici comme des œuvres dans l’œuvre.

 

Pablo Picasso - Chez la Pythie-Harpie. Homme au masque de Minotaure et femme au masque de sculpteur - 19 nov 1934 © Sucession Picasso 2018 © Photographie Bouquinerie de l'institut

Un seul regret persiste cependant en visitant l’exposition — mais c’est le cas pour toutes celles organisées au Palais des Lumières : qu’on ait transformé ce lieu à l’architecture art nouveau fantastique en un banal white cube

Picasso Palais des Lumières, Photo ©Vanessa Morisset

Vanessa Morisset, critique et historienne d'art.

Palais des Lumières, Evian / 30 juin - 7 octobre 2018.