Pierre Schwerzmann – SKOPIA

Cerise Dumont
3 décembre 2025

La galerie Skopia met en lumière une nouvelle fois l’artiste Pierre Schwerzmann dans trêve, une exposition personnelle montrant ses plus récents travaux. Tour d’horizon.

Pierre Schwerzmann (1947) présente l’exposition « trêve » à la galerie Skopia. Complice de longue date de la galerie genevoise – avec laquelle il collabore depuis 1989 – l’artiste de Nyon dévoile ses œuvres les plus récentes à l’occasion d’un solo show s’étendant dans les deux espaces de la rue Vieux-Grenadiers, mêlant peintures de petits et grands formats ainsi qu’une sculpture inédite.

Le travail de Schwerzmann se déploie autour de surfaces colorées d’une grande densité et à l’harmonie chromatique énergique et parfaitement maîtrisée. Jaunes éclatants, orangés vifs, turquoises profonds… La palette vitaminée, saturée en pigments au point de parfois sembler fluorescente, affirme la puissance de la couleur comme matière première. Dans certaines œuvres, le tissage brut de la toile apparaît par fragments laissés nus, révélés après retrait des scotchs utilisés pour délimiter les zones peintes : cette respiration donnée au support renforce la tension entre ce qui est caché, révélé, et le potentiel transformateur du matériau pictural.

Parfois, des dégradés, toujours réalisés à la main, génèrent une impression de vibration et de mouvement. Lorsqu’ils sont travaillés en noir et blanc, ils créent presque un trompe-l’œil métallique ; leur illusionnisme déstabilise la vision, donnant l’impression de volumes concaves ou convexes. Le regard ne peut s’y fixer : il oscille, glisse, se déplace, engageant le corps du spectateur dans un mouvement réel, physique. La peinture devient alors un champ optique instable, à la frontière entre surface et profondeur.

Si Pierre Schwerzmann a parfois, par le passé, exploré l’usage du texte, trêve s’impose comme un inédit dans son œuvre récente. L’artiste travaille peu avec les mots ; ce titre surgit donc comme un geste singulier, peut-être même nécessaire. Il évoque la suspension, l’apaisement, mais aussi l’espace de respiration que ses toiles ménagent entre tension optique et stabilité chromatique. Comme s’il s’agissait d’un moment de pause, un intervalle dans lequel regarder — vraiment regarder — redevient possible malgré la mouvance interne des œuvres.

Sur un pan de mur entier, l’exposition présente une série de toiles en petits formats qui semblent témoigner de l’évolution du travail de Pierre Schwerzmann. Aux peintures de formes abstraites colorées s’ajoutent des œuvres photographiques imprimées sur toile et parfois retravaillées par l’artiste. L’accrochage de cette paroi, conçu par l’artiste lui-même, joue avec la forme de la grille tout en refusant sa rigidité. Les œuvres dialoguent entre elles par l’alternance irrégulière de pleins et de vides, laissant place à des respirations nécessaires. Cet agencement crée une harmonie générale qui prolonge les effets de vibration déjà contenus dans les peintures de plus grand format : les déplacements du regard deviennent des déplacements du corps au sein même de l’espace d’exposition.

L’exposition présente également une sculpture en bois, Point de vue, co-conceptualisée et dessinée avec la fille de l’artiste. Initialement intitulée Prototype – elle pourrait d’ailleurs servir de point de départ à une œuvre installée dans l’espace public –, l’œuvre se situe dans la continuité des préoccupations picturales de Schwerzmann : jeu avec la perception, articulation entre planéité et volume, mise en espace de formes simples mais chargées d’une présence optique forte. Avec cette pièce, l’artiste déplace dans la tridimensionnalité son interrogation sur la surface, offrant au spectateur une nouvelle modalité d’expérience.

En superposant des spatialités contradictoires — aplats colorés d’une part, dégradés illusionnistes de l’autre — Pierre Schwerzmann joue à provoquer un trouble rétinien qui empêche le regard de se poser, générant une instabilité féconde. Les vibrations chromatiques semblent irradier des formes abstraites à la sobriété presque minimale que l’artiste affectionne. 

Cette mouvance dans la peinture constitue peut-être la véritable trêve à laquelle invite Schwerzmann  : non pas un arrêt, mais un seuil, un espace où l’œil hésite, où la perception se suspend, et où la peinture, finalement, reprend son souffle.

photo : ©Julien Gremaud

L’exposition est à voir jusqu’au 20 décembre 2025 https://www.artageneve.com/lieu/galeries/skopia

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