© Galerie Almine Rech. © John M Armleder

John M. Armleder, Galerie Almine Rech, Paris.

Vanessa Morisset, critique d’art
18 juin 2018

Du 6 juin au 28 Juillet 2018.

Parmi la quinzaine de peintures récentes — sans oublier les plantes — exposées à la galerie Almine Rech, l’une d’elles, s’intitule Cascade. Le motif de chute colorée qui la compose est particulièrement en adéquation avec ce nom. Pourtant, plus qu’un titre singulier, il pourrait tout autant être une dénomination générique de plusieurs œuvres, qu’Armleder appelle en fait les Puddles Paintings (peintures en flaques), tant le mouvement de déversement de peinture, mais aussi de paillettes, de mixtures inconnues, de petits objets, en somme de matière picturale composite, occupe une place centrale dans l’exposition. À cet égard, ceux qui avaient vu l’accrochage de Maurizio Cattelan au Guggenheim de New York en 2012, où lui aussi d’une certaine manière avait déversé et déversé, toutes ses œuvres étant suspendues dans le célèbre puits du musée, ne peuvent s’empêcher d’opérer un rapprochement. Censé être un achèvement pour Cattelan, ce précipité d’éléments est-il un bilan, un résumé de son rapport à la peinture pour Armleder ?

 

© Almine Rech © John M. Armeleder

 

Déjà il y a quelques années, notamment pour l’exposition au titre lui aussi très évocateur de la matière picturale mise en œuvre, Où sont les sauces ?, en 2014, au Consortium de Dijon, l’artiste avait expérimenté ce procédé, qui consiste en réalité à verser la peinture sur la toile posée à plat pour la redresser ensuite, laissant le matériau déjà un peu solidifié lui-même décider de la forme qu’il tracera, c’est-à-dire en fonction de son degré de viscosité et des réactions chimiques entre les composants. On peut songer là au mouvement de l’Antiforme initié à la fin des années 60 par Robert Morris, pour qui l’oeuvre « devient en grande partie une référence à l’état de la matière, ou, de façon exceptionnelle, le symbole d’un processus (d’une action) sur le point de commencer ou déjà achevé ». Ainsi, chute, entropie, état de la matière sont présents à l’esprit lorsqu’on observe toutes les « cascades » de peintures de l’exposition…  Quoiqu’à la différence des exemples cités, chez Armleder, une joie, un plaisir, quelque chose de festif, persiste dans le fait de peindre et de faire de l’art. Car la cascade est aussi une force, un jaillissement, une dépense pour utiliser le terme de Georges Bataille. Dans ce sens, on remarquera que les peintures arborent des couleurs vives et variées, rose dans Ombre des fleurs, bleu dans Côté est, vert dans Prunier, soulignées par leurs titres parfois champêtres, d’une drôlerie désinvolte par rapport au motif de la chute —La Pluie, enfin ! — ou encore auto dérisoire comme avec Premières oies, tableau dominé par une flaque de couleur jaune verdâtre. Et puis les tableaux sont eux-mêmes accrochés sur des cimaises peintes, rouge, dorée, accompagnées de plantes vertes qui amènent à reconsidérer le tout à l’aune de la signature d’Armleder que sont les Furniture sculpture. En somme, tout l’univers de l’artiste genevois est bien présent dans cette exposition, avec le tour de force de produire une peinture conceptuelle en convoquant tant de matière. 

 

vue de l'exposition John M. Armleder, galerie Almine Rech, photo Vanessa Morisset

 

Galerie Almine Rech, John M. Armleder

64 rue de Turenne 75003 Paris