Richard Misrach

Richard Misrach

Charles Cleary
18 novembre 2022

Avec l’exposition Isolation/ Solitude à la galerie PACE Genève, le photographe américain pionnier de 73 ans juxtapose deux univers solitaires où contemplation, détente, tension et esthétisme se rejoignent.

Richard Misrach sillonne depuis des décennies les vastes étendues des États-Unis à la chasse de la lumière. Ayant grandi en Californie, il reste fidèle à ses origines de surfer et skieur de la côte ouest. Habituellement il part trois semaines seul avec sa caravane et son appareil photo grand format 8 x 10, « en état de réceptivité aigue, mais sans attente » pour photographier ce qui se présente à lui. 

Richard Misrach

Cloud, Roden Crater, 2016.

« Pour moi, la photographie ouvre de nouvelles perceptions, nous aide à mieux comprendre la réalité dans laquelle nous vivons, et célèbre l’imagination, comme tout art. La peinture est quelque chose de plus calculée, tandis que la photographie encadre un univers de manière plus spontanée, plus instantanée. »

Sinon il est stationnaire, en confinement depuis un balcon à Hawaii pendant la pandémie. C’est un endroit fixe qu’il appelle « le point calme depuis lequel la terre tourne » d’où il documente depuis 2002 les sujets qui viennent à lui. 

Richard Misrach

Hydrofoil Surfer #2, Hawaii, 2022 

Le résultat est des plus intime : une solitude, choisie ou imposée, dans une immensité à la fois sublimement belle et inquiétante, voire menaçante. C’est le cas du double cliché Being Photographed (The Covid Moment) [April 13, 2022 2:07pm], 2022, où la solitude voulue d’une femme prenant le soleil se juxtapose au danger de l’énorme vague qui risque de la balayer du rocher. 

Richard Misrach

Being Photographed (The Covid Moment) [April 13, 2022 2:07pm], 2022

L’artiste a sélectionné des photographies de plusieurs de ses séries majeures — de On the Beachà son magnum opus Desert Cantos — pour sa première exposition en Europe depuis vingt ans. Cette exposition est née du Covid. Lors d’une conversation avec son amie et collaboratrice, l’écrivain américaine Rebecca Solnit un jour de confinement, Misrach parlait de la solitude si essentielle à son processus de création. Il dit vouloir souligner la différence entre « une solitude voulue » — le désir de s’éloigner du monde—et une isolation imposée et subie par des phénomènes qui ne sont pas de notre ressort. L’artiste précise que les deux mots viennent de la même racine latine « sol » mais ont des significations bien différentes. En puisant dans ses archives, l’artiste retrouve plusieurs clichés développés spécifiquement pour cette occasion.  

Richard Misrach @PACE

Man Reading, Waikiki, 1989 (à gauche sur la photo)

Le hasard jouant un rôle, c’est une sorte de poésie photographique retrouvée qu’il espère témoigner. C’est, selon lui, un processus intuitif dont il fait tout à fait confiance. Impossible d’avoir une idée préconçue de ce qu’il va photographier. Sans attente, mais muni d’espoir.

En passant, l’artiste cite Le Radeau de La Médusede Géricault qu’il venait de revoir au Musée du Louvre. L’échelle étant une façon d’attirer l’observateur et ensuite de transmettre le sujet, Misrach est connu autant pour sa démarche pionnière en matière de couleur dans les années 1970 que pour ses photographies aux dimensions imposantes. Car ce qu’il appelle la « puissance de l’échelle » est très importante dans son œuvre, il est connu pour cela. Selon lui c’est une nécessité pour inciter une investigation de la part de l’observateur, tout petit, devant une nature infinie. 

En dehors de la solitude, l’œuvre de Richard Misrach touche à bien d’autres thèmes. « D’une certaine manière, ma carrière consiste à naviguer entre ces deux extrêmes : la politique et l’esthétique » dit-il. Hormis les questions d’écologie et les effets dévastateurs de l’homme dans la nature, il traite depuis ses débuts d’autres questions politiques et sociales. Son premier projet majeur, Telegraph 3AMest une série de portraits de sans-abri publié en 1975 en forme de livre. Il débute la série Desert Cantosen 1979, un travail qu’il alimente encore aujourd’hui. Sa série Border Cantoscommence en 2004 en collaboration avec le compositeur expérimental Guillermo Galindo et documente les 3000 kilomètres de frontière entre les Etats-Unis et le Méxique. Misrach a également crée des projets sur l’ouragan Katrina, le Golden Gate Bridge, et une série publiée en tant que livre intitulé Petrochemical America, un reportage sur le « Cancer Alley »  et les dégâts faits par ces 135 usines et raffineries qui longent le Mississippi.

Quant à son avenir, Richard Misrach a plusieurs projets en cours ainsi que des collaborations. Il compte poursuivre son travail encore longtemps en faisant confiance à son propre processus. « J’ai commencé dans les années 1970. Depuis, la photographie a passé de quelque chose d’anecdotique aux yeux du grand public à une forme d’art légitime et reconnue » dit-il en faisant référence à ses débuts modestes à Berkeley sous les yeux d’un de ses mentors, Roger Minick. Misrach fait allusion à un basculement de la photographie vers les nouvelles technologies. « Les NFT sont un nouveau médium avec un vrai avenir. Ils auront leurs propre système, leurs propre langage et une forme et logique différentes de ce que nous connaissons. Dans ce sens, ces nouvelles formes d’expression prendra le relais et la photographie aura un contexte comme dans les arts classiques de peinture et sculpture : une place spécifique dans l’histoire de l’art. »

Misrach ne compte pas faire des NFT même si la demande est là. Il reste fidèle à son approche et à son époque. « Pour moi, la photographie ouvre de nouvelles perceptions, nous aide à mieux comprendre la réalité dans laquelle nous vivons, et célèbre l’imagination, comme tout art. La peinture est quelque chose de plus calculée, planifiée même, tandis que la photographie encadre un univers de manière plus spontanée, plus instantanée. » Ce sont justement ces instants seuls que Richard Misrach réussit. Ici « l’essence de l’être seul » que ce soit le photographe, l’observateur ou le sujet, est décantée et rendue à sa juste taille devant l’immensité.

Richard Misrach

Diving Board, Salton Sea, 1983

 

https://www.artageneve.com/lieu/galeries/pace

Pratique :

du 14 octobre au 26 novembre 2022

PACE – 15 Quai des Bergues - 1201 Genève

 

crédits photos :

Installation View, Richard Misrach

Isolation/Solitude, Oct 14 – Nov 26, 2022, Pace Gallery, Geneva

© Richard Misrach, Geneva, 2022

Photo: Annik Wetter, courtesy Pace Gallery