Sculptures à la piscine

par Nafsika Guerry-Karamaounas
13 octobre 2022

L’Association des Sculpteurs de Genève s’empare jusqu’au 13 novembre de la piscine du Lignon.

Il n’est pas nécessaire d’emporter son maillot de bain pour l’occasion, c’est un plongeon dans l’art que nous offre cette nouvelle exposition évènementielle. 

Cette immense piscine est la plus emblématique de la commune de Vernier et plus largement de la ville de Genève puisque la plus haute. Elle a récemment fait peau neuve en 2019. 

Au total ce sont trente-cinq artistes plasticiens genevois qui envahissent le lieu avec leurs sculptures, toutes exposées à l’extérieur dans des matériaux et tailles différentes. 

Ainsi le visiteur est constamment surpris par l’esthétique des œuvres mais aussi par leur sujet, de l’abstrait au concret. La perspective du lieu se voit redéfinie par ses nouveaux occupants. Elle permet de (ré)concilier l’espace public avec l’art, d’offrir aux visiteurs l’expérience d’une exposition communautaire et englobante dans le quartier du Lignon. Lequel a émergé dans les années soixante, très connu pour son urbanisation à la fois homogène et à la marge. La cité, alors bâtie, présente une sculpturalité impressionnante elle fait face à la piscine. Il émane de ces deux corps, sculptural et architectural, un dialogue entre le passé, le présent et le futur. C’est au visiteur d’apprécier, de comprendre, de ressentir de tout simplement observer. L’eau des bassins fait figure de liant et se transforme en quelque chose d’animique qui renvoie au cours de la vie ou tout simplement à soi. 

Les sujets abordés constituent une parole contemporaine et indispensable, la question environnementale et celle de la place de la femme, de la marginalisation de l’être humain, forment le cœur de cette exposition. 

©AAG

Le visiteur pourrait être l’un de ces rêveurs assis dans l’herbe du triptyque, Entre les corps, de Isabelle Cassani et Mireille Rigotti. 

Au fil de la déambulation enchantée on découvre chacune des oeuvres. C’est ainsi que Miranda Roux met d’une part le lien entre passé et présent en avant et d’autre part, questionne la position de la femme. Elle rappelle les générations de familles qui ont vécu ici, qui ont sorti, étendu et étalé leur linge au pied duquel est déposé un seau qui contient le « trop plein ». Le fil est tendu de l’autre côté par deux figures féminines. L’image vulgarisée de la tâche ménagère rappelle en son cœur que les femmes, exécutent près de soixante-dix pour cent des tâches ménagères encore aujourd’hui.

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Lukas Grogg préfère impliquer la femme aux côtés de l’homme, avec toutefois une certaine distance. Sans pour autant les opposer. Tandis que la figure masculine est assise, celle qui s’apparente à la femme est debout, elle paraît en mouvement. Ce couple de gens pourrait être de simples adeptes de natation, venus pour quelques heures, ici à la piscine du Lignon. On ressent pourtant une prise de position forte au sens propre comme figuré dans l’œuvre du sculpteur. 

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La poésie se poursuit avec Sur l’eau, de Laurent Dominique Fontana. Non moins engagé, le plasticien, par sa réalisation, sacralise le corps féminin, l’élève, comme flottant au-dessus de tout. 

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Le tissu flottant, quasi aérien de Françoise Studer ressemble à une robe, dont l’absence de corps révélerait une femme sans doute. Au travers de cette figure féminine abstraite, il y a une forme transitoire qui exprimerait la mue.

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Grâce à ses volumes opaques et translucides fait de résine, Chantal Carrel interpelle à son tour. Ici on se questionne sur l’interaction entre nature et civilisation, entre ce qui est visible et ce qui ne l’est pas. 

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Dans l’idée de prolongement d’un certain dialogue entre sculpture et architecture, il y a les géodes (du grec, qui signifie : Terre) de Titane Lacroix.

« Mes géodes de béton contiennent des traces de vie glanées sur le site du Lignon : au fil du Rhône, au vide grenier, aux ventes de Noël ou dans les allées arborées. Comme un miroir à cet édifice de béton qui contient des milliers de vies. »

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Sono solo ma, « En général, je ne donne pas de titre à mes sculptures. Dans la présente installation, il s’agit de souligner le rapport entre l’immensité de la nature et cette image d’un personnage dont l’aspect rappelle la terre dont il est fait. Il manque certainement quelque chose aux œuvres qu’il est nécessaire d’expliquer. »

Claude Ningetto réalise une sculpture en bronze patinée. Est-ce l’arbre qui s’humanise ou l’homme qui devient arbre ? 

Cette puissante fragilité est partagée avec l’œuvre de Henri Bertrand, Il y avait des arbres, utilisant des fragments de troncs de tilleul et de merisier. C’est comme pris dans ce qui semblerait une cage que les arbres sont contenus, évoluent - jusqu’à quand ?  

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Isabella Battola choisit également la question environnementale avec ses loups comme tout droit sortis de contes ou de fables communes traversant les siècles. Certaines pièces sont disposées en hauteur, d’autres au beau milieu d’un tas de feuilles acceptant ainsi pleinement l’espace proposé.

« Je me sens concernée par les problèmes environnementaux actuels comme leur retour dans leurs habitats d’origine, car la faune sauvage et les écosystèmes sont vitaux pour l’être humain. Le loup, c’est avant tout pour moi les contes, notre patrimoine imaginaire commun à tous. La peur du loup et l’image négative qu’on lui a attribuée. Cette part d’enfant qui est en moi ou la part de sauvage qui est en moi ? » 

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Luc Tiercy et Ivan Denkinger se sont lancés dans un travail à quatre mains requérant l’aide de plusieurs plongeurs également. Composant avec le bassin olympique les deux artistes sculpteurs donnent à voir une installation graphique qui renvoie à la barre du Lignon. Lignons est une œuvre éphémère.

« Tel un bronze bercé par l’océan durant des siècles, cette sculpture se souvient des tempêtes de jadis, elle témoigne du temps et de ses aléas. » Agnieszka Gorla-Bajszczak

Agnieszka Gorla-Bajszczak fait état des lieux, de ses énergies en son for intérieur avec Piscithérapie. L’œuvre est accompagnée d’un texte, d’un poème. Les mots ne visent pas à décrire l’œuvre, ils sont là pour l’accompagner dans une sincérité absolue - l’un ne va pas sans l’autre… Cette sculpture témoigne d’une époque, d’un moment donné où le salvateur viendrait par les profondeurs, par quelque chose de vivant, de simple, de naturel. 

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A l’écart du toboggan rose, c’est la sculpture faite d’acier brossé de Nancy Mizrahi qui est découverte, Tout Autour Triangle. Trois figures semblant tourner inlassablement en rond. Une projection future vers une pulsion somme toute insaisissable. 

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Ce sont au total 35 sculptures qui ont pris place à la piscine du Lignon. Le temps y est suspendu, l’espace devient bulle, le visiteur songeur.

photographies ©ArtAGenève

https://www.artageneve.com/lieu/galeries/association-des-sculpteurs-de-g...

Pratique 

Sculpture à la piscine du Lignon 

Association des sculpteurs de Genève/ASdG

Piscine du Lignon

30 rte du Bois-des-Frères, 1219 Lignon

Du 15 octobre au 13 novembre 2022

Me-Ve 14h-18h, Sa-Di 11h-17h