Ulay il y a quelques années, ©DR

Ulay, qui fut longtemps la moitié de Marina Abramovic, est mort oublié à 77 ans

par Etienne Dumont
6 mars 2020

Le performeur luttait depuis des années contre un cancer. Il avait collaboré avec Marina de 1976 à 1988. Le couple s'était retrouvé en justice pour des droits d'auteur.

J’avais mal évalué la portée de l’événement. On n’est pas bon tous les jours. La presse (à l’exception du «Monde» qui ne fait plus grand-chose pour les arts plastiques) a donné une importance considérable à la disparition d’Ulay. Les journaux et les blogs spécialisés dans l’art contemporain surtout, ce qui me semble bien normal. L’homme avait pourtant disparu de la scène publique depuis longtemps. La dernière fois qu’on avait entendu parler de lui, en 2014, c’était pour une affaire assez sordide. J’y reviendrai.

Marina Abramović and Ulay, “Relation in Time” (1977), ©Marina Abramović Institute

Mais qui était Ulay? Il faut sans doute l’expliquer aux jeunes générations. Né en 1943, en pleine guerre, l’Allemand a longtemps formé la moitié de Marina Abramovic. Il s’agissait d’un couple à la ville (avec comme base Amsterdam) comme pour les performances. C’était le moment où la Yougoslave (le pays n’avait pas encore volé en éclats) donnait dans le franchement «hard». Jusque là elle s’était entaillée, asphyxiée, fouettée ou livrée en pâture à des spectateurs transformés en bourreaux potentiels. Avec Frank Uwe Laysiepen, la Walkyrie du «body art» allait passer à des actions plus longues, mais s’adressant à un public moins restreint. De1976 à 1988, Abramovic et Ulay ont ainsi beaucoup voyagé. Je me souviens qu’ils sont ainsi venus à Genève à l’invitation de l’alors jeune Centre d’Art contemporain. Le duo était nu. Immobile. Les spectateurs devaient passer entre leurs deux corps. Certaines photos en témoignent encore.

La Muraille de Chine

En 1988, Marina et Uwe avaient entrepris leur plus longue épreuve, après bien des difficultés administratives. Ils avaient marché le long de la Muraille de Chine, alors que le pays restait en plein après-Mao. Deux mille cinq cent kilomètres à pied. Enfin, la moitié pour chacun, les tourtereaux s’embrassant lors de leur rencontre, après1250 kilomètres. Le tout filmé. Ulay partait du Désert de Gobi.Marina de la Mer jaune. Il était établi que ce serait leur ultimeperformance commune. Leurs rapports s’étaient déjà gravement altérés. Un chapitre que la dame oblitère dans ses récents mémoires («Traverser les murs», 2017). Après l’accolade, chacun repartirait de son côté.

Depuis lors, Marina est devenue une superstar. Une dame que l’on consulte à propos de tout et de rien. Le succès de ses expositions et de ses performances a aujourd’hui quelque chose de planétaire. Ses admirateurs semblent appartenir à une sorte de secte. Ulay, lui, a végété et disparu. Le couple s’est ainsi retrouvé à armes bien inégales en2010 quand l’Allemand a fait partie du public (750 000 personnes au MoMA!) venu s'asseoir, à raison d’une petite minute pour chacun,  en face de l’ex-Yougoslave. «The Artist Is Present». L'affrontement avait été comme de juste abondamment photographié. Filmé aussi.Marina a comme de bien entendu diffusé le long-métrage (en version abrégée, tout de même) courant 2012.

Marina condamnée aux Pays-Bas

Ce n’était pourtant pas là une réconciliation. Bien au contraire. Uwe a ensuite attaqué Marina en Justice. Elle n’avait pas été loyale envers lui. Régulièrement, elle «réactivait» certaines de leurs actions, jouées par les disciples qu’elle formait. Le tout figurait ainsi à la rétrospective du Palazzo Strozzi de Florence en 2018, dont je vous ai parlé. Son nom n’était jamais cité. Pire, elle ne lui avait versé que quatre petites fois ses droits d’auteur. La justice néerlandaise a tranché en 2014. Il fallait rétablir pour les œuvres créées entre 1976 et 1988 le nom d’Ulay. Un monsieur qui avait par ailleurs droit à 250 000 euros de droits en retard. 

Il y a six ans ,l’Allemand se portait déjà peu bien. Il aura en tout lutté huit ans contre le cancer qui l’aura prématurément transformé en vieillard. La fin était inéluctable. Ulay s’est éteint le 2 mars à Ljubljana, en Slovénie. C’était le dernier acte. Rideau!

Ulay il y a quelques années, ©DR

Paru dans Bilan.ch le 4 mars 2020