MEG Afrosonica  ©AAG

Afrosonica Paysages sonores au MEG

Cerise Dumont
26 juin 2025

La musique est à l’honneur de la nouvelle exposition du Musée d’Ethnographie de Genève. Grâce à sa scénographie immersive, Afrosonica – Paysages sonores invite au voyage à travers les connexions sonores et vibratoires qui traversent le continent africain et ses diasporas.

Avec Afrosonica – Paysages sonores, le MEG inaugure un nouveau cycle d’expositions qui entend replacer le sensible et le relationnel au cœur de l’expérience muséale. Co-imaginée par l’ethnomusicologue et conservatrice du MEG Madeleine Leclair et l’artiste Ntshepe Tsekere Bopape (Mo Laudi), cette exposition donne au son une place centrale, en le traitant comme une matière vivante et mouvante capable de relier les corps, les temps et les cultures.

Midori Takada durant l’enregistrement de la création sonore Mémoire d’arbres, avec le xylophone sénoufo des collections du MEG. Photographie Chiara Cosenza.

Afrosonica se distingue d’emblée par sa scénographie, conçue avec un ingénieur du son pour éviter toute cacophonie et favoriser une écoute active. Les visiteurs ne traversent pas des salles, ils s’immergent et circulent librement dans un espace sonore fluide où les œuvres dialoguent sans se parasiter les unes les autres. Ici, tout est affaire de vibration, de résonance et d’attention portée au souffle du monde.

Le son n’est pas traité comme un objet passif, au contraire, il est énergie, mémoire, émotion, rituel. Il agit. La musique, dans les sociétés africaines et leurs diasporas, est autant un art qu’un acte, un moyen de parler aux ancêtres, de soigner, de danser, de survivre. Refusant un découpage classique chronologique ou géographique, l’exposition opère plutôt comme une cartographie sensible. Plus d’une vingtaine de thématiques sont regroupées en quatre grands gestes — vibrer, invoquer, se relier, connecter – auxquels s’ajoute un espace collectif, pensé comme un lieu de rassemblement sonore.

Au cœur de l’exposition, l’espace Imbizo, inspiré des assemblées convoquées pour résoudre les problèmes de la communauté selon les coutumes zulu sud-africaines, est ré-imaginé comme « espace de convivialité radicale ». Défiant les structures conventionnelles que sont les bibliothèques, les musées ou les discothèques, l’imbizo les fusionne en un lieu dynamique d’apprentissage, de désapprentissage et de participation en continu. Un jukebox invite les visiteurs à se retrouver dans une playlist collective. 

MEG Afrosonica ©AAG

L’écoute de la musique, même lorsqu’elle est partagée, demeure profondément personnelle. L’intime et le collectif coexistent dans le son des notes et des mots, sans que l’un domine l’autre. La section Musique de l’intime met notamment en lumière la manière dont la musique vient alimenter nos dialogues intérieurs, en présentant la poésie comme geste musical à travers les voix croisées de poètes de la négritude et de quatre poétesses contemporaines.

 

MEG Afrosonica ©AAG

Si le son permet de se relier à soi-même et aux autres, il permet également de se connecter au territoire, à la terre, au corps collectif. Pratiques en constante réinvention, la musique et la danse circulent et se renouvellent pour créer un dialogue continu entre passé et présent, entre ici et ailleurs. Sons et mouvements deviennent des archives vivantes qui permettent de résister à l’effacement et à la domination. Connexions espace-temps rassemble ainsi des instruments liturgiques, des chants de travail, des éléments de culture vaudou ou encore des peintures pariétales préhistoriques. La musique s’y fait mémoire active, mais aussi outil de transformation du présent.

Sùre, cloche, Cameroun, Grassfields, Foumban Royaume Bamoun. Fin du 19e - début du 20e siècle Bois, métal, rotin, cauris, verroterie, feutre © MEG, J. Watts

Dans la section L’appel des ancêtres, la musique devient passage. À travers les rhombes et les masques, l’exposition explore les rapports entre vivants et ancêtres, entre monde visible et invisible. Ces objets ne sont pas seulement beaux ou anciens : ils sont puissants, porteurs de voix, de mémoire, de présence.

Sùre, cloche, Cameroun, Grassfields, Foumban Royaume Bamoun. Fin du 19e - début du 20e siècle Bois, métal, rotin, cauris, verroterie, feutre © MEG, J. Watts

Vibrer dans un paysage sonore nous plonge dans la matérialité du son, qui s’avère déterminant dans la relation que les humains établissent avec leur environnement. Perçus comme un flux de sensations et de matériaux par les personnes qui sont immergées, les écosystèmes forment un paysage sonore cohérent tout en fournissant des matériaux que les humains mettent en vibration à travers la fabrication d’instruments. Lithophones, archives naturelles et installations sensibles composent un univers acoustique où l’on sent plus qu’on n’entend. Le visiteur devient récepteur, corps vibrant dans un champ acoustique.

Litophone ©AAG

L’exposition ne se contente pas d’explorer de nouveaux territoires sonores, elle rebat aussi les cartes de la médiation. En intégrant un texte en langage accessible (FALC) et deux parcours enfants, elle affirme une volonté d’ouverture à tous les publics. Loin des approches descendantes, elle propose une expérience partagée, plurielle, poreuse.

Afrosonica – Paysages sonores est une exposition à voir, mais aussi – et même surtout – à entendre. En traitant le son comme une force invisible mais tangible, c’est une invitation à l’écoute lente, à la connexion, à la transformation. On en sort en se disant que la musique est capable de réactiver les mémoires, de relier les mondes et de réenchanter la terre.

 

À voir jusqu’au 4 janvier 2026.

https://www.artageneve.com/lieu/musees-fondations/meg-musee-dethnographie-de-geneve