Conversation entre deux galeries genevoises à Paris

Nafsika Guerry-Karamaounas
22 octobre 2019

La galerie Joy de Rouvre ainsi que la galerie Laurence Bernard exposent leurs artistes à Paris, dans la galerie Eva Meyer.

Racontez-nous la genèse de ce projet.

Joy De Rouvre

Ce projet est né d’une conversation impromptue entre amies pendant un café à ArtBasel en juin dernier.

Laurence Bernard

Durant Artbasel, lors d’une conversation autour d’un café entre Eva, Joy et moi. Nous parlions de la FIAC et de notre envie de participer à ce moment fort de l’art contemporain à Paris. Eva nous a proposé d’exposer dans sa galerie, nous avons dit oui immédiatement.

Peter Regli

Comment avez-vous choisi les œuvres chacune de votre côté, quels étaient vos critères de sélection à chacune d’entre vous ? 

Joy De Rouvre

L’idée de départ est une sélection de travaux d’artistes suisses à montrer en France.

J’ai voulu choisir les œuvres en peinture les plus dans l’abstraction géométrique possible avec Christian Floquet et Jérôme Hentsch pour contraster avec l’idée de programmation un peu moins stricte à cet égard de Laurence. Par ailleurs, une photographie de Aimée Hoving complète l’ensemble en contrepoint à celle des Frères Chapuisat que présente Laurence.

Laurence Bernard

Nous étions convenus que nous emmènerions à Paris des artistes suisses. Or, nos programmations sont éloignées et c’est justement ce qui rendait l’exercice intéressant. Nous ne pouvions pas miser sur une harmonie des œuvres mais plutôt sur la création d’un dialogue créé sur place, en fonction de l’espace qui nous accueillait.  La sélection s’est faite intuitivement. 

Pourquoi la galerie Eva Meyer ? 

Joy De Rouvre

Cf question 1

Laurence Bernard

Parce qu’Eva est avant tout une amie. 

Qu’attendez-vous de cette exposition ?

Joy De Rouvre

Se faire connaître hors de Suisse via un autre circuit que les foires et bien sûr aller à la rencontre d’un nouveau public et de nouveaux collectionneurs.

Laurence Bernard

De nouvelles rencontres, de nouveaux collectionneurs pour nos artistes !

Quelques mots sur chaque artiste.

Joy De Rouvre

Jérôme Hentsch: Son œuvre est inspirée de la littérature, du théâtre, de l’architecture et de la psychanalyse. Pour lui ses tableaux et objets sont comme des « producteurs élémentaires de sens », questionnant le regard du spectateur par un jeu de correspondance.

Christian Floquet: Toujours d’une rare constance dans la forme depuis près de trente ans et avec une économie de moyens redoutable, le travail de Christian Floquet oppose systématiquement deux couleurs (ou non couleurs) de fabrication industrielle appliquées de manière la plus neutre possible au pinceau sur la toile, barrant ainsi celle-ci de manière oblique (et asymétrique) pour rentrer en confrontation avec le format orthogonal du tableau, attestant ainsi de sa picturalité.

Aimée Hoving: Ses photographies sont le résultat d’une observation du réel qu’elle va détourner au gré de son imaginaire, mais juste un peu, pas trop. A peine un décalage qui donne un ton particulier à ses images, entre la féérie et le surréel inquiétant.

Laurence Bernard

Les Frères Chapuisat ont un univers identifiable instantanément. Habitués aux installations monumentales dans lesquelles très souvent le public est invité à reconnecter avec sa part d’enfance, ils produisent en parallèle des pièces tout aussi intimes, ludiques et décalées. 

Koka Ramishvili est un artiste polymorphe et pourtant, son travail est concentré principalement autour de l’image et de sa représentation. Que ce soit à travers la photographie, la peinture, ou encore la vidéo, l’artiste observe la diffraction de la lumière et ses effets sur la déconstruction de l’image. 

Peter Regli observe le monde en le parcourant. Avec humour et intelligence, il met en exergue les différences entre les cultures en vidant de sens des représentations symboliques. Lorsqu’il se penche sur une toile, celle-ci devient le réceptacle de ses souvenirs, de réminiscences ou encore de fantasmes de voyages. 

Bernard Voïta est un plasticien qui intervient par la sculpture, l’installation et la photographie. Réalisant des installations consistant en une accumulation d’objets hétéroclites dans son studio, l’artiste créé des illusions et les photographie. Cela nous donne à voir tour à tour des figures géométriques, des architectures, et même des appareils photographiques. Il se joue de notre perception et nous oblige à nous immerger dans ses œuvres pour en comprendre la fabrication. 

Sans titre n°9, 2019, Christian Floquet  &  Copacabana, 2018, Frères Chapuisat

La galerie Joy de Rouvre et la galerie Laurence Bernard ont été invitées par la galerie parisienne Eva Meyer à exposer ensemble. 

C’est un véritable dialogue entre les œuvres, de l’une et de l’autre qui s’est créé dans l’espace du cinq rue des Haudriettes, dans le troisième arrondissement de Paris. 

Les deux galeristes ont pré sélectionné les artistes chacune de leur côté - Christian Floquet, Aimée Hoving et Jérôme Hentsch pour Joy de Rouvre. Laurence Bernard, elle, a choisi, les frères Chapuisat, l’artiste Koka Ramishvili, Bernard Voïta, ainsi que Peter Regli. Rien ne laissait prétendre à un accord des œuvres entre elles, à une « entente ». Pourtant, celles-ci se répondent, résonnent les unes aux côtés des autres. On ne peut pas parler de symbiose mais très certainement d’un résultat complice et intelligent. 

La toile très géométrique de Christian Floquet, Sans titre n°9, 2019, est renforcée par exemple, par la photographie des frères Chapuisat, Copacabana, 2018, et vice versa. Les formes géométriques « proposent » une épuration sincère de ce corps nu, étalé sur la roche. A l’inverse, le corps nu pourrait être finalement une proposition plus ornementale, de la peinture de Hentsch, de cette figure sur monochrome.

Il y a des oppositions également qui viennent finalement s’accorder. On constate une opposition entre les lignes horizontales de l’œuvre de Jérôme Hentsch, Blind Store 2017, et la photographie de Bernard Voïta, Melencolia XVI, 2017, dont les lignes présentent une déconstruction dans sa composition. La discordance est telle qu’elle suggère une harmonie. 

Blind Store 2017, Jérôme Hentsch &  Melencolia XVI, 2017, Bernard Voïta

En associant des artistes ici très différents, les œuvres présentées proposent un autre regard. Elles sont admirées autrement - pour ce qu’elles sont et comme « miroir » des tableaux desquels elles sont entourées. 

Les supports, les matériaux se mélangent et quelque chose, c’est le cas ici, de l’ordre de la magie se produit. La dimension d’un ensemble, de « faire ensemble » est particulièrement appréciée aujourd’hui, à l’heure où les démarches sont pour la plupart très individualistes et compétitives. 

 

Pratique 

Galeries Joy de Rouvre & Laurence Bernard

jusqu'au 16 novembre 2019 

Galerie Eva Meyer

5 rue des Haudriettes, 75003 Paris

ma - sa 11h - 19h