Florence Ghafour, artiste et formatrice militante

par Fabien Franco
5 juin 2018

Dans son atelier, le handicap n’est qu’une facette de l’identité parmi d’autres. Plasticienne et formatrice, Florence Ghafour œuvre pour faire évoluer les consciences. Sa méthode ? La création artistique.

Le handicap fait écran. Dans la rue ou dans le milieu professionnel, la personne handicapée interpelle par sa différence. Les regards des « valides » peuvent se faire réducteurs quand ils ne font pas preuve d’animosité. « Dans les transports en commun, il n’est pas rare que les personnes handicapées subissent des agressions » soutient Florence Ghafour, artiste à Genève. Des histoires d’agressions, de discriminations, elle en entendrait tous les jours. Femme engagée, volontaire, elle anime depuis une dizaine d’années des séances de formation en création artistique. Membre de l’association Actifs*, elle enseigne dans son propre atelier situé à Chêne-Bourg, près de Genève. Au contact des élèves, la formatrice a développé des méthodes d’enseignement basé sur l’écoute, le partage, le lâcher-prise qui, à partir d’un geste spontané, va donner l’impulsion créative. Son parcours est en premier lieu celui d’une artiste. 

 

Née à Genève en 1959, elle expose pour la première fois en 1998. Vingt ans plus tard, la peinture figurative des débuts a laissé place à une expression libre, à un questionnement sur la destruction/reconstruction et l’utilisation de matériaux de récupération. Le champ d’investigation artistique s’est ouvert à d’autres dimensions à partir d’une intériorité aux prises avec le réel. Le mouvement créateur prend racine dans l’intuition des formes et des sujets. Et c’est dans un second temps que se dévoile la source d’inspiration. Les matières, expressives et multiples, - huile, eau, papier, toile, carton etc. -, révèlent une créativité dynamique, ouverte, expérimentale. « Le voyage est intérieur » confie Florence Ghafour. Ce voyage, dialogue entre l’artiste et son environnement, ne cesse de créer de nouvelles formes. Spécificité de l’art qui intègre et restitue, conférant au particulier sa valeur universelle. 

 

Ses inspirations, Florence Ghafour va les puiser dans les événements économiques et politiques contemporains. Cette acuité attentive aux enjeux et problématiques de la société révèle une personnalité tournée vers ses semblables. Sensible au beau et au bien, si chers aux Grecs de l’Antiquité, l’artiste ne pouvait sans doute pas faire autrement que d’ajouter à son activité artistique une dimension supplémentaire. Chez elle en effet le mouvement de l’art est associé à une fonction sociale inclusive. Faut-il alors déplorer de ne pas avoir été entièrement vouée à l’art ? « Cette activité m’a permis d’aller plus loin dans mon art parce qu’il existe bien un échange entre la formatrice et les élèves. Cette relation m’inspire une forme d’attitude par rapport à la création. Former demande une telle disponibilité qu’il est difficile ensuite de conserver suffisamment d’énergie pour mon travail personnel. Mais ça vaut la peine, ça me porte et me correspond. Quand à savoir si j’ai fait le sacrifice d’une carrière artistique, certainement. Disons que je mets certaines choses entre parenthèse, mais c’est un choix. Par ailleurs, mon travail artistique est personnel. Je n’appartiens à aucun réseau et il m’est plus compliqué de mettre en avant mon propre travail que celui de mes élèves. » 

 

« changer les regards, inclure plutôt qu’exclure »

Elle enseigne le dessin, la peinture, et aussi, la récupération de matériaux. L’apprentissage des différentes techniques n’est pas imposé et chaque élève peut décider du choix du médium et de s’écarter du sujet proposé, l’individualité de chacun étant respectée. L’enseignement doit s’adapter à la nature du handicap. On ne travaille pas de la même façon avec la personne si elle souffre d’autisme ou de trisomie. En revanche, l’échange, le partage, l’écoute de l’autre et la mise en confiance demeurent essentiels pour créer un lien avec chaque élève « dont l’amour propre trop souvent malmené requiert un soutien. » L’enseignante est animée par les principes de Luc Boulangé, fondateur en Belgique du premier atelier Creahm*, et par cette conviction que des personnes en situation de handicap mental ou psychique dotées d’un talent artistique puissent trouver leur identité d’artiste. « Dans ce cas il faut leur donner les moyens de se réaliser en tant qu’artiste à part entière » C’est pourquoi il est important pour la formatrice de mettre en place des projets individuels et collectifs ayant, dans la mesure du possible, une finalité : l’exposition. 

 

Montrer les œuvres c’est leur donner le moyen d’exister pour ce qu’elles sont, sans filtre préalable. Encore faut-il que l’exposition atteigne le plus grand nombre, or quand il s’agit d’en faire la communication, les bonnes intentions ne sont pas les plus efficaces. Comment parvenir à ce que le visiteur et amateur d’art entre en relation avec l’œuvre produite débarrassé des préjugés que pourrait véhiculer sa perception du handicap ? Comment favoriser l’ouverture d’esprit nécessaire ? A-t-on nécessairement besoin de connaître l’auteur avant d’entrer au contact avec son œuvre ? Savoir par exemple que ce dernier vit dans une situation de handicap, qu’il est détenteur d’un passeport suisse, que sa peau est blanche et que son orientation sexuelle l’incline à tomber amoureux de personnes du même sexe a-t-il son importance à l’instant où l’on découvre la peinture, la sculpture ou l’installation créée ? 

 

© Yves Bordier

 

L’exposition organisée en mai 2018 par la plasticienne genevoise a donné lieu à des ventes. Parmi les élèves issus de l’atelier, quelques artistes remarquables identifiés par leur formatrice : « Yves Bordier utilise des couleurs soutenues, franches. Son trait est d’une grande précision, évoquant par moment l’art africain. Marie-Thérèse Gascon peint divinement, c’est une grande artiste de l’abstraction. » Le travail de Florence Ghafour s’attache à valoriser. En amont il enseigne l’exigence et la rigueur propres au domaine de l’art. Au-delà, il vise à l’épanouissement personnel, à « changer les regards, à inclure plutôt qu’exclure ».

 

 

L’association a souhaité ouvrir les ateliers à tous et pas seulement aux seules personnes en situation de handicap. Las, le projet peine à prendre forme tant il est laborieux de changer les mentalités. « Ça ne fonctionne pas, regrette Florence Ghafour, ces ateliers ne rencontrent pas le succès escompté en dépit de l’opportunité qu’ils représentent pour tous de communiquer et partager. » L’intention va à l’encontre des communautarismes. « C’est une démarche sociétale et politique qui implique des changements de mentalité pour tous y compris à l’intérieur des familles concernées par le handicap. » Tel projet ne pourra être concrétisé sans ouverture d’esprit ni patience. Autant de qualités que l’art est susceptible d’enseigner. 

 

 

 

www.florenceghafour.ch

florenceghafour.blogspot.com

* www.actifs-ge.ch

* www.creahm.ch