Thierry Barbier-Mueller, Plateau de Frontenex 2022 @AAG

Hommage. Thierry Barbier-Mueller

Nakhana Diakite Prats
3 février 2023

Hommage. Thierry Barbier-Mueller, l'être de noblesse dans la galaxie de l'Art.  L'Art A Genève et Nakhana Diakite Prats rendent hommage à Thierry Barbier-Mueller, disparu trop rapidement ce 25 janvier.

Hommage. Thierry Barbier-Mueller, l’être de noblesse dans la galaxie de l’Art 

Il a marqué le monde de l’art d’une empreinte indélébile, par son passage fugace mais incandescent et une intelligence de coeur qui lui donnait le goût de l’autre,  ouvert aux horizons divers, à l’image des bâtisseurs audacieux. 

Sa pudeur n’avait d’égal que sa passion pour ses filles, pour sa famille, pour l’art, évidemment, et pour cette Afrique qu’il avait, peut-être, un peu dans la peau. Il aurait pu faire sienne cette citation de Kwame Nkrumah « Je suis africain non pas parce que je suis né en Afrique mais parce que l’Afrique est née en moi ».

Thierry Barbier-Mueller, Barthelemy Toguo et Georges Adeagbo

En partage, cet extrait de « Interview  with the collectors »réalisé en avril 2017 pour le catalogue de l’exposition «Africa Telling a World» au Padiglione d'Arte Contemporanea, à Milan, (27 juin -11 septembre 2017, éd. Silvana Editoriale). 

Quelques lignes qui en disent un peu mais ne sauraient décrire, dans toute sa dimension, Thierry Barbier-Mueller.

Pourriez-vous nous conter ce qui vous a conduit sur le chemin de la collection ? Quelle en est la genèse et d’où vous est venu cet engouement pour l’art contemporain africain ?

Une question de transmission, simplement… Mon grand-père maternel était collectionneur, mes parents aussi. Pour mémoire, Pierre Schneider, le critique d’art a écrit que lorsqu’il est allé visiter mon grand-père, il n’avait pas vu les murs tellement ils étaient tapissés d’oeuvres. Ainsi l’idée du mur blanc ou du mur vide ne fait pas partie de mes références. Ce goût de la découverte ou d’une certaine idée du beau, s’est transmis par l’exemple à mes deux frères et à moi-même. Ce qui explique que lorsque j’ai acquis ma première oeuvre à l’âge de 20 ans, je ne pensais pas du tout devenir collectionneur. Il n’y avait pas une démarche consciente de m’inscrire dans les pas de mes ascendants. Cela s’est produit naturellement. Au fur et à mesure de mes acquisitions, je me suis aperçu que cela commençait à constituer, peut-être,un corpus, une collection. 

J’ai développé plusieurs axes au sein de ma collection d’art contemporain dont celui du dessin, domaine dans lequel il ne peut y avoir d’esbroufe et où l’artiste est obligé d’être dans une sincérité totale. J’ai aussi constitué une collection de design avec comme fil conducteur la chaise des années 60 à nos jours. Ce qui m’a plu dans le design, c’est l’émergence d’artistes très spontanés, qui ne créent pas pour le marché, qu’ils soient d’ailleurs africains ou non. (Tom Dixon ou Ron Arad à leurs débuts, Alessandro Mendini, Mark Brazier-Jones, Gonçalo Mabunda, Alassane Drabo…).

Je peux rendre hommage indirectement à Adelina von Fürstenberg pour la première œuvre que j’ai achetée, que j’ai vue au Centre d’art contemporain à Genève qu’elle a fondé et qu’elle dirigeait dans les années 70. Elle a fait venir tout ce qui comptait de plus important Andy Wahrol, Joseph Beuys, Lawrence Weiner, Sol LeWitt, Meret Oppenheim, Robert Wilson, Markus Raetz. 

Je me suis, sans doute, intéressé aux artistes contemporains africains dans ce prolongement. Il est vrai, par ailleurs, que j’ai toujours ressenti un attrait particulier pour l’Afrique. Je pense que j’étais surtout fasciné par la spontanéité, l’authenticité et le caractère tout à fait unique de beaucoup de ces artistes africains. Ils ne me semblaient pas être dans un processus de construction de carrière. Comment dire ? La passion s’exprime et parfois le succès est au rendez-vous. Malick Sidibé, un immense artiste, en est un parfait exemple.

Le collectionneur est tel un intercesseur, parfois précurseur. Il nous donne à voir à travers le prisme de son regard, un univers artistique singulier, subjectif, fruit de ses choix personnels. Pour autant, il contribue à ancrer la démarche de l’artiste dans l’histoire de l’art, participe à sa renommée et légitime par des actions, l’artiste dont il détient les oeuvres. Comment voyez-vous votre rôle dans cette part de légitimation, d’assise, d’ancrage de cet art des horizons nouveaux ? Quel est votre fil conducteur, votre ligne directrice ? Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ?

J’avoue ne pas penser du tout  à cette action de légitimation ou d’ancrage, pour une raison déjà très simple, c’est que je suis assez discret. Je pars du principe que collectionner est surtout une démarche intérieure, personnelle, intime.

Aussi, je ne pense pas avoir une grande valeur de monétisation parce que je ne suis pas très visible sur le marché. Ces endroits où l’on parle et raconte ce que l’on fait, ce n’est pas moi.  J’ai donc peu l’occasion d’échanger sur les oeuvres faisant partie de ma collection qui ne bénéficient pas, de ce fait, d’un coup de projecteur. Pour autant, j’estime que la collection n’est pas synonyme de possession. Ce n’est pas non plus un musée imaginaire. C’est un assemblage réel avec des limites et des contraintes; contraintes financières, contraintes d’accessibilité et autres. Bâtir une collection nécessite de croire profondément en ce que l’on fait. Il s’agit d’un engagement véritable. Par engagement, j’entends conserver la pièce, la chérir, la soigner, la protéger ! 

J’ai par ailleurs parfaitement conscience que pour le bien de l'oeuvre et de l’artiste, les oeuvres doivent circuler ». Je prête d’ailleurs régulièrement aux musées, mais toujours de façon anonyme. J’essaie d’opérer un équilibre entre ce que j’estime être un devoir vis-à vis de l’artiste, à savoir la visibilité de son travail et l’exigence de conservation dans des conditions optimales pour en assurer une meilleure pérennité. 

Mon seul fil conducteur est l’artiste et son travail. C'est souvent une question de rencontre pas au sens personnel, physique, plutôt au sens d'adhésion intellectuelle. 

Ce n’est qu’ensuite que je sélectionne les oeuvres qui correspondent le plus à ma sensibilité. Comme je n’aime pas faire d’échantillonnage, je vais tenter, par la suite, de suivre son évolution dans la durée.

Thierry Barbier-Mueller ©Olivier Vogelsang

Chaque collection semble unique, à l’image du collectionneur. L’on pourrait dire que la collection incarne le collectionneur. Pour autant chaque collection porte, en elle, le germe de l’universalité en ce sens qu’elle transcende les circonstances qui l’on façonnée au départ. Comment voyez-vous le devenir de votre collection ? Quelles sont vos aspirations ? Qu’avez-vous à transmettre ?

Mon grand-père maternel qui avait un sens civique très développé a fait don d’une belle partie de sa collection au musée de sa ville natale de Soleure. Une autre partie est revenue à sa fille unique, ma mère. Mes parents, dans ce même cheminement, ont eu la gentillesse de prévoir la même chose en ce qui nous concerne. Pour ma part, il est normal qu’il en aille de même pour mes enfants. Il leur appartiendra le moment venu d’être libres de leur choix. 

Il vaut mieux et cela nous emmène au point ultime - en cela je paraphrase mon père - « Si j’ai pu constituer ma collection, c’est aussi parce que d’autres collectionneurs mourraient et que leurs pièces étaient remises sur le marché ». Donc il ne faut pas être égoïste. Il ne faut pas priver le marché parce que l’on veut avoir une salle ou un musée à son nom. D’autres ont le droit d’aimer aussi et d’assouvir leurpassion de collectionneurs.  

Passion, vous n’avez pas utilisé ce mot.

« Je ne l’utilise pas par pudeur. Dire de soi-même « je suis un passionné », je trouve cela ridicule. N’oubliez pas une chose, je suis suisse et un méridional. Je ne vais pas parler de moi à la troisième personne. C’est un petit peu une évidence . Cela ne peut pas exister sans passion. »

 

« Si j’ai pu constituer ma collection, c’est aussi parce que d’autres collectionneurs mourraient et que leurs pièces étaient remises sur le marché ».

extrait de « Interview  with the collectors »réalisé en avril 2017 pour le catalogue de l’exposition «Africa Telling a World» au Padiglione d'Arte Contemporanea, à Milan (27 juin -11 septembre 2017, éd. Silvana Editoriale). 

Propos recueillis par Nakhana Diakite Prats, critique d'art.

Âgé de 62 ans, Thierry Barbier-Mueller, promoteur immobilier et collectionneur d’art et de design contemporain est décédé le 25 janvier d’un arrêt cardiaque.

https://www.artageneve.com/article/thierry-barbier-mueller-collectionneur