Le Corbusier et l’immeuble d’habitation Clarté
Rencontre avec Brigitte Jucker-Diserens, architecte
Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, est né à la Chaux-de-Fonds en 1887. Il reçoit en 1900 une formation de graveur-ciseleur à l’école d’art de sa ville natale et acquiert, à force de voyages et de rencontres, une nouvelle formation d’architecte autodidacte. Il réalise sa première villa, la Villa Faller, dans sa ville natale en 1907 ; suivront d’autres édifices jusqu’en 1917, date de son déménagement à Paris.
Le Corbusier construit son premier immeuble à Genève en 1932 avec vue sur le lac. En a-t-il construit d’autres à Genève ?
Le Corbusier et son cousin Pierre Jeanneret construisent en 1932 l’immeuble d’habitation Clarté dans le quartier de la Terrassière à Genève. Cet ensemble de verre et d’acier, offrant de généreuses vues sur le Lac Léman, est l’unique immeuble d’habitation de l’architecte en Suisse.
Comment est pensée la construction, son plan ?
L’immeuble d’habitation Clarté se distingue par sa structure porteuse métallique permettant l’intégration du plan libre et l’imbrication d’une mixité de typologies composée de simplex et de duplex. L’ensemble de cette écriture participe à la création d’une forme architecturale et esthétique unique, accompagnée d’un éventail d’innovations constructives.
Peut-on parler de prototype pour ce bâtiment fait de verre et d’acier ?
Oui, car en 1932 la conception d’un ensemble tout en acier constitue une véritable exception. La Clarté exprime la synthèse des concepts novateurs apparus au début du XXème siècle, tels que la réalisation de la Maison de verre de Pierre Charreau, le système Dom-Ino et le concept d’immeuble-villas.
Pourquoi ce choix de matériaux ?
Sur le plan esthétique, le potentiel de la façade non porteuse en acier et la mise en œuvre du Solomite, panneaux composés de paille compressée liée par des fils de fer, permettent une amélioration du système constructif. Attentif à la technologie de l’époque, l’industriel genevois et Maître d’ouvrage Edmond Wanner est également allé dans le sens des innovations constructives portées par les études du Corbusier. Serrurier, Edmond Wanner apporte à la Clarté une unité constructive et homogène unique dans l’œuvre du Corbusier.
Quelle est la prouesse architecturale de cet immeuble locatif ?
Outre la conception de l’immeuble d’habitation – aujourd’hui résidentiel et privé - avec ossature métallique et emploi de matériaux thermiques innovants, la réalisation de dalles fines d’une épaisseur de 21cm offre à la Clarté une hauteur sous plafond de 260cm, très confortable pour ses habitants. Le rythme offert par une façade désormais libre donne à la composition des élévations une véritable identité architecturale dans laquelle vient s’inscrire un nouveau mode d’habitation.
L’immeuble est-il avant-gardiste pour l’époque ?
Le bâtiment est un écrin de modernité mêlant à la fois, des modes de construction révolutionnaires tels que sa structure métallique et ses façades rideaux et, plus traditionnels avec l’utilisation de solivages et de cloisons en briques de terre cuite. L’innovation réside véritablement dans la recherche de transparence et de lumière permise par une structure en acier portante et la présence de doubles vitrages.
Par ailleurs, le toit-terrasse et les fenêtres-bandeaux reflètent certaines réflexions modernistes. L’immeuble recèle également de belles innovations intérieures comme la présence de fenêtres coulissantes et le revêtement des balcons par des planchers-bois.
Pourquoi l’appelle-t-on la Maison de verre ?
On réserve à vrai dire l’appellation de Maison de verre à la réalisation parisienne de Pierre Charreau. On comprend néanmoins ce surnom donné à la Clarté du fait du caractère vitré des façades, ainsi que de l’apport de lumière permis dans les cages d’escaliers par les deux verrières de l’immeuble et dans les garages par leurs portes à bascule semi-vitrées.
Est-ce Le Corbusier qui choisit le nom « La Clarté » ?
Si rien n’indique que Le Corbusier soit à l’origine de l’appellation de cet immeuble d’habitation, on retrouve déjà le nom « La Clarté » sur les plans de la Société Immobilière pour le compte de laquelle Le Corbusier a réalisé ledit immeuble.
Vos bureaux DVK Architectes se trouvent dans l’immeuble La Clarté, depuis quand ?
Brigitte Jucker-Diserens installe son bureau d’architecture et interior design DVK Architectes dans l’immeuble la Clarté en 2004. L’Atelier est le fruit d’un partenariat de femmes et d’hommes de cultures diverses et d’expériences originales multiples. DVK Architectes adapte son savoir-faire à chaque contexte et à chaque situation particulière, qu’il s’agisse de la rénovation d’immeubles du patrimoine genevois et parfois de leur surélévation, de l’étude et de la réalisation d’immeubles, d’habitats groupés, de bureaux ou de résidences d’exception.
Combien y-a-t-il d’appartements dans l’immeuble Le Corbusier ?
L’immeuble La Clarté comporte 48 appartements, la plupart avec balcons, dont les volumes et surfaces diffèrent des uns aux autres. Ces appartements traduisent le concept corbuséen d’immeuble-villas directement inspiré du Modulor et de ses proportions humaines idéales.
Y avez-vous rénové des appartements ?
DVK Architectes a rénové 9 appartements de cet immeuble, cela dans l’esprit architectural de Le Corbusier.
Comment procède-t-on avec les contraintes d’un immeuble classé sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ?
L’Unesco a inscrit l’Immeuble Clarté au Patrimoine de l’humanité en 2016. Elle n’intervient toutefois pas dans le cadre des travaux de restauration susceptibles d’être entrepris. Toute intervention de ce type implique en revanche une étroite collaboration avec la Commission des monuments, de la nature et des sites, très rigoureuse en la matière.
Que peut-on modifier dans ces appartements sans heurter l’esprit Le Corbusier ?
Les typologies et les différents éléments constructifs ne peuvent pas être modifiés. L’esprit Le Corbusier doit être préservé. La rénovation des appartements est ainsi menée dans le respect, voire la réinterprétation, du concept et des références Le Corbusier.
Les interventions proposées par DVK Architectes conservent de ce fait un caractère réversible, les concessions faites au confort contemporain ne remettant pas en cause les options constructives d’origine.
Est-ce que des travaux d’entretien ont été effectués depuis 1932 pour la conservation du bâtiment ? lesquels ?
A ce jour, l’immeuble Clarté a fait l’objet de 4 rénovations. En 1953, l’architecte Marc-Joseph Saugey effectue quelques travaux de restauration. Une rénovation complète de la façade, ainsi qu’une réfection générale des toitures, des étanchéités et des ferblanteries sont entreprises en 1975 par les architectes Bruno Camoletti et Pascal Häusermann. Bien que le système constructif ait été entièrement refait lors de cette dernière, le bâtiment souffrait toujours de problèmes d’étanchéité. En 2003, Jacques-Louis de Chambrier est mandaté afin de conduire les travaux d’une restauration d’envergure concentrée sur l’enveloppe et les espaces communs. De façon générale, ces rénovations ont lieu tous les 30 ans pour prévenir la corrosion de l’acier. Ces divers travaux ont permis le rétablissement de la lumière à travers les verrières dans les deux cages d’escalier, ainsi que la réapparition des couleurs originelles, véritable « polychromie architecturale » chère à Le Corbusier.
Déjà propriétaire d’un appartement, la Ville de Genève a racheté dernièrement un duplex de 9 pièces, 260 m2 pour la somme de 3,8 millions. Quel en sera l’usage ?
Il semblerait, à en croire les articles de presse parus à ce sujet, que la Ville de Genève se propose de mettre en place un dispositif permettant une visite contrôlée de ces appartements, moyennant des accords appropriés à passer à cet effet avec la Communauté des Copropriétaires et avec les locataires des dits appartements.
Pourra-t-on le visiter comme à Marseille à la Cité radieuse ou comme l’appartement-atelier privé de Charles-Edouard Jeanneret de l’immeuble Molitor à Boulogne Billancourt, Paris ?
Aucune information n’est à notre connaissance encore disponible à ce jour.
Est-ce la Fondation Le Corbusier qui va s’occuper de la restauration ?
Nous ne disposons pas d’avantage d’information à ce sujet.
Une association des propriétaires a été constituée pour la sauvegarde de la maison de verre ? Quels sont ses buts et ses projets ?
Les buts de l’Association Clarté 1932 sont : la mise en valeur de l’immeuble ; la préservation de son caractère résidentiel et privé ; l’examen avec la plus grande attention des changements de destination susceptibles d’être apportés, cas échéant, à certains de ses locaux.
Quel parallèle peut-on faire avec la rénovation de l’appartement atelier de Boulogne ?
L’appartement-atelier dans lequel le Corbusier a vécu à Boulogne est un manifeste vivant de sa pensée architecturale. La Fondation Le Corbusier a choisi de le restaurer comme un véritable témoin de son lieu de vie et de création. Les rénovations d’appartements réalisées par DVK Architectes dans l’immeuble Clarté ont été quant à elles conduites avec le même souci de préservation de leur identité singulière. En maintenant toutefois la possibilité de les adapter ultérieurement à l’évolution des modes de vie que connaîtra nécessairement le XXIème siècle, cela sans altération de l’écriture architecturale unique de Le Corbusier.
Rue Saint-Laurent 2 - 4, 1207 Genève, Suisse
Photos © Luca Fascini