Nicole Hassler

par L'Art à Genève
12 juin 2019

Artiste franco-suisse, connue pour ses tableaux monochromes en relation à l’industrie cosmétique depuis plus de 20 ans.

Vous travaillez sur l’identité propre de la couleur, expliquez-nous le concept ?

Un peu à la « Forrest Gump », j’ai tout appris des techniques de la peinture, tout de la théorie de la couleur et tout de l’histoire de l’art. Les remarques sur les couleurs et la philosophie de la logique de Wittgenstein m’ont amené à vouloir révéler l’identité propre de la couleur. Olivier Mosset dit: « le monochrome est à la fois ce qu’il y a de plus facile et de plus difficile »

Vous avez commencé par peindre du noir, du noir simplement et profondément. Comment décrieriez vous votre série de noir, où le noir est noir ?

Dans les années 80, j’ai reproduit les couleurs de pigment noir dont le nom était désigné comme tel. J’ai commencé à introduire la notion d'apparence dans mon travail. Le tableau était achevé lorsque la nature du pigment « apparaissait ». Pour la « série illimitée », il s’agissait de reproduire le même tableau avec la même couleur. Le regard du spectateur était terriblement sollicité pour chercher la différence.

Quand et comment êtes-vous passée du noir à la couleur ? Que représente-elle pour vous ?

Comme l’Art et la vie vont de pair, c’est en me maquillant que j’ai décidé d’utiliser les nuanciers des cosméticiens pour mon art dans les années 90. J’ai commencé à peindre avec du fond de teint, geste d’appropriation duchampien.

Vous peignez des couleurs comme se présentent les pigments à leur origine. Comment procédez-vous pour retrouver les couleurs exactes des pigments, est-ce que cela peut s’inscrire dans une démarche expérimentale, quasi scientifique ? 

Mes connaissances sont utiles et c’est mon secret de laboratoire. Rien n’est jamais acquis, tout est à recommencer régulièrement, les produits évoluent ou n’existent plus ou la composition en est transformée suite à des normes de plus en plus strictes pour la santé. 

Par ailleurs, peut-on réellement dire que ces toiles sont la représentation exacte du pigment, dès lors que la couleur est appréciée par notre regard. N’est-elle pas propre à chacun comme l’exprime Wittgenstein ?

Là il est question de phénoménologie, la couleur est analysée par une mesure d’observation pure, non par une analyse scientifique comme un détecteur de couleur.

Qu’est-ce qui vous a poussé à utiliser des matériaux cosmétiques comme le vernis à ongles, les fards à paupière ou les poudres compact ?

Utiliser les codes de l’histoire de l’art, s’approprier un produit de « peinture pour la peau » pour cette autre fonction qu’est l’art, questionner la limite de ce qui est art et de ce qui ne l’est pas.

Comment travaillez-vous l’acrylique liquide, les poudres ou les fards, est-ce proche des techniques de peintures habituelles ?

La peinture a quelque chose de très technique, quelque soit la matière et son mode d’application. Les cosméticiens achètent leur pigment de base à la même enseigne que les plasticiens, ensuite chacun fait son mélange qui sera unique.

Quels sont les supports de vos œuvres et quelle est votre relation de la surface par rapport au mur ?

J’ai une préférence pour les panneaux rigidesles supports « hightech » pour l’aéronautique comme l’Aerolam, aujourd’hui j’utilise du Dibond et je peins directement sur les murs.

Quelle relation avez-vous eue avec OPI la marque mondiale numéro 1 de vernis à ongles, en quoi cela vous a-t-il aidé ?

Le président George Schaeffer (OPI, Los Angeles) m’a été présenté à mon atelier à Genève, qui par la suite a fait expédier autant de flacons de vernis à ongle que je souhaitais avant de revendre sa firme en 2011.

Aujourd’hui, entretenez-vous d’autres partenariats avec des grandes marques de la cosmétique beauté ?

Non, mais j’ai rencontré Olivier Echaudemaison, le designer artistique de Guerlain qui est venu au vernissage lorsque j’ai montré les peintures « Météorites » à la Galerie Arnaud Lefebvre à Paris en 2016.

Parlez-nous du « nail-bar » 

La Villa du Parc à Annemasse organisait en 2010 une exposition Before Present, parlant d’ « ecosophie ». J’ai décidé de retraiter 470 flacons de vernis à ongles vides dans un Nailbar, chiffre statistique de la vente moyenne de vernis pour une femme américaine (O.P.I), l’installation s’intitulait « Vie de vernis ».

Vous sentez-vous proche du travail monochrome de Marcia Hafif qui explore dans un format particulier et de façon méthodique un pigment particulier ?

Je me suis approchée  du mouvement de la « Radical painting », édictant l’idée de « page blanche » pour redéfinir la peinture dans l’objectivité de la simple couleur. Marcia Hafif a écrit un texte « beginning again » que j’ai découvert alors que je peignais des monochromes de noirs. Je l’ai rencontrée à New York au début des années 90 et nous sommes devenues proches en tant que femme artiste.

Maurice Besset, historien d'art,  a organisé une exposition s’intitulant La Couleur seule, l'expérience du monochrome à la biennale de Lyon MAC en 1988 montrant une centaine d’artistes peignant des monochromes dont autant revendiquent une démarche différente. Cela laisse rêveur.

Une autre série de monochrome sur les toits en zinc de Paris, des formats plus rectangulaires, comment vous est venue cette idée, comment est-elle réalisée ?

En 2014 je me suis installée à Paris et du studio que je louais, j’ai pu observer les nuances des toits dont les gris changeaient constamment. Marcia Hafif disait : « Paris est gris, Rome est rose », j’ai acheté des pots de crèmes de fards à paupières dans les nuances de gris tendance et j’en ai fait des peintures dont les noms sont ceux donnés aux produits et le titre général en est « Shimmering Paris Zinc ».

On évoque souvent un certain féminisme quand on parle de votre travail, vous considérez-vous comme féministe en travaillant sur l’identité de la femme ?

Je revendique le droit à la consommation des produits cosmétiques avec conscience. Mon travail n’a pas à voir avec l’identité de la femme mais avec l’industrie cosmétique, la consommation que nous faisons pour le paraître.

Pour la 3èmeexposition à la galerie Arnaud Lefebvre, que présentez-vous ?

18 peintures sur Dibond, face à face comme un nuancier géant de fard à paupières de Dior. Les cosméticiens s’inspirent de l’art et je les reprends avec un effet boomerang, j’ai choisi ces nuanciers parce que les titres comme : Minimalism, Radical…correspondait à ma démarche.

Vos projets futurs ? Toujours en couleurs ?

La prochaine  exposition personnelle se tiendra à la FABRIK culture de Hégenheim en Alsace à la frontière de Bâle, ouvert au public pendant Art Basel. C’est un espace de 600m2 expérimental où j’ai réalisé une installation éphémère qui présente autant qu’elle représente, qui questionne le make-up d’une mondialisation en cours avec des peintures murales à échelle architecturale.

 

Pratique 

Du 18 mai au 15 juin 2019 : Galerie Arnaud Lefebvre

10 rue des Beaux-Arts – F-75006 Paris – T. +33 1 43 54 55 23

 

Du 9 juin au 7 juillet 2019 : FABRIKculture

60, rue de Bâle – F-68220  Hégenheim – T. +33 7 71 02 11 58

Commissaire: Gerda Maise

 

www.nicolehassler.com