Philip Sajet, bijoutier contemporain
Le créateur de bijoux contemporains Philip Sajet, évoque son rapport à son métier et à l'argent. Entretien entre initiés avec Nicolas Christol.
Le Bitcoin s’affole. Trump crée un même coin pour s’enrichir. Le cash disparaît gentiment tandis que l’or atteint des nouveaux records. Les bijoux ont depuis toujours servi de réserve en cas de crise, au-delà de leurs dimensions ornementales et symboliques. Une fonction illustrée par l’emploi de monnaies et de lingots dans certaines parures. Cash explore notre relation à l'argent à travers une quinzaine de créations.
Nicolas Christol dialogue avec Philip Sajet :
« Je trouve qu'un bijou doit être un rêve intouchable qui est devenu touchable ». Philip Sajet
Les diamants de laboratoire coûtent de moins en moins cher, le dollar est en train de perdre gentiment sa place hégémonique et le bitcoin est noyé dans le flot incessant des nouvelles crypto-monnaies. Quelle sera la prochaine icône représentant l'argent selon toi ?
C'est le temps.
Tu emploies très peu d'outils, tu tailles toi-même une partie des pierres que tu utilises.
Es-tu un artiste rentable et sais-tu combien tu gagnes de l'heure en moyenne ?
Mon Dieu, ça c'est presque une question... pour te dire, je pense que si je gagne 5 euros par heure, c'est pas mal.
Tu as intitulé ta bague « Jewellry is my currency », donc la bijouterie est ma monnaie. As-tu déjà payé une facture directement avec un bijou ?
J'ai essayé une fois de payer mon dentiste avec un bijou ! J'ai dit, ça c'était mon humour, un œil pour un œil, une bague pour une dent.
La sociologue Paola Tabay décrit dans son livre « Continuité des échanges économico-sexuels » des situations dans lesquelles l'argent et les bijoux servent de compensation à des échanges sexuels et affectifs. Toi qui as été marié plusieurs fois, notamment à une bijoutière, penses-tu que les bijoux sont parfois une monnaie d'échange dans les relations ?
Tu sais que moi je suis un bijoutier, alors je fais des bagues ! Et qu’est-ce qu'une femme veut avoir ? Une bague ! Et moi j'en ai fait 500… Je suis d'accord avec elle totalement.
Les bijoux servent parfois de réserve en cas de coup dur, parfois à affirmer un statut social. Les bijoux dits « artistiques » ont souvent un coût relativement élevé. Sont-ils condamnés à être bourgeois ? Existe-t-il des bijoux contemporains populaires ?
Le mariage, naturellement, c'est le plus bourgeois contemporain, je pense. Mais au moment où le bijou est plus important que la personne qui le porte, il a dépassé la frontière de la bigoterie.
Toi qui n'aimes pas travailler l'argent et réalises la plupart de tes créations en or, tu disais en 2017 dans une interview que tu rêverais d'avoir un kilo d'or à ta disposition.
En 2025, l'or coûte trois fois plus cher et tu exposes une bague en argent flanquée d'un dollar. As-tu encore les moyens de tes rêves ?
Avec 5 euros par heure, tu rigoles !
Les bijoux sont traversés par les questions de genre, de lutte des classes, de violences coloniales. Ils servent parfois de signaux diplomatiques, comme dans les broches de Madeleine Albright, ancienne secrétaire d'État américaine qui utilisait sa collection de broches pour symboliser ses objectifs diplomatiques.
Ils peuvent également servir d'archives pour étudier le racisme structurel du sionisme envers les Juifs, Séfarades et Mizrahi comme dans le travail d’Ariella Aicha Azoulay, autrice de « La résistance des bijoux », deux récits mêlant autobiographie et théorie politique.
Les bijoux ne sont-ils pas d'abord politiques avant d'être un divertissement ?
Je pense qu'on vit dans une matrice. C'est la tâche, l'obligation de l'artiste de sortir de la matrice. Au moment où le bijoutier fait un bijou qui sert le système, la politique ou un concept « hors du cœur », des émotions, ce n'est plus l'objectif du bijou. Je le trouve « trompé, trahi » au moment où il devient un truc de statut au lieu d'un truc de personnalité. Ce n'est pas mon truc.
Est-ce que tu es sensible, non pas au bijou qui essaye d'affirmer ou d'afficher un statut ou de manipuler une image, mais sensible au bijou qui va porter un message politique, un questionnement ?
Je n'aime pas ça. Je trouve qu'un bijou doit être un rêve intouchable qui est devenu touchable.
Questions à Nicolas Christol :
Invité par la galerie Tirelli à exposer une toute nouvelle série de broches et de bagues ¨explosives¨, il participe également à l'exposition collective Cash à l'espace Borax, Vevey.
Borax, un espace aujourd’hui reconnu pour la bijouterie contemporaine en Suisse ?
Il y a très peu d’espaces consacrés au bijou contemporain en Suisse comme Annick Zufferey à Carouge, Caractère à Neuchâtel ou Viceversa à Lausanne ou Friends of Carlotta à Zürich. Notre espace est un peu différent car les oeuvres sont en vente mais l’espace est sans but lucratif et hybride, on a plus de liberté, on intègre la céramique et l’art contemporain. On a une place bien à nous dans ce petit réseau.
Comment se présente ce lieu de la prison ?
Le bâtiment date du 12ème siècle. Il a été maison du bailli, grenier, puis une prison depuis le 19ème siècle jusque en 2004. On y a organisé la première exposition en 2006 puis nous avons proposé à la ville de Vevey de la transformer en ateliers. Elle en a fait à l’époque une « maison des associations ». C’est un espace compliqué à l’usage mais intéressant et symbolique.
Cash est la nouvelle exposition de bijoux contemporains que vous présentez en décembre. Cash, le titre évoque l’argent, la monnaie qui tend à disparaître. Quel message voulez-vous passer ?
Parmi ses diverses fonctions historiques le bijou sert bien entendu de réserve d’argent en cas de coup dur, et parfois à afficher un statut financier, réel ou performé. D’ailleurs, on retrouve dans diverses périodes et cultures des bijoux réalisés avec des pièces de monnaies. Comme tu le mentionnes le cash est entrain de disparaître mais en parallèle le cours de l’or explose. Ce thème est… riche pour les artistes invités.
A propos :
Philip Sajet est un bijoutier contemporain hollandais installé dans le Sud de la France. Créateur confirmé, il est devenu une référence pour les amateurs de bijou contemporain depuis de nombreuses années. Né le 15 octobre 1953 à Amsterdam, Pays-Bas.
Nicolas Christol est un bijoutier contemporain suisse, né en 1982 à Lausanne, Suisse. Après une formation de photographe, il travaille à divers postes dans le culturel, puis durant trois ans dans le cinéma (régie, production) et ces dix dernières années dans une galerie d’art à Genève. Il apprend la bijouterie en autodidacte à partir de 2016. https://www.artageneve.com/article/rencontre/nicolas-christol-bijoutier – Co-fondateur du Collectif EinZweiDrei et de la galerie Emergency, en 2021 avec Mélane Zumbrunnen, ils ouvrent un minuscule espace d’exposition dédié au bijou et à la céramique contemporaine dans une cellule de l’ancienne prison de Vevey, l’espace Borax. L'espace Borax fête ses 5 ans.
Artistes invités à l'exposition Cash : Cash est une exposition de bijoux contemporains à Vevey réunissant une quinzaine d’artistes suisses et internationaux sur le thème de l’argent.
Nicolas Christol (ch) – Minerva Cuevas (me) – Nora Delanoë (ch) – Robin Deriaz (ch) – Vadim Gordeev (ru) – Armin Najib (ir/uae) – Benedict Haener (ch) – Margot Jud (ch) – Jeanette Knigge (nl) – Martin Muller (ch) – Bette Nunneley (uk) – Philip Sajet (nl) – Bernhard Schobinger (ch) – Milton Stavrou (uk) – Mélane Zumbrunnen (ch)
Pratique :
- Exposition à l'espace Borax : les 6-7 et les 13-14 décembre 2025 de 13h à 18h (ou sur rdv)
Vernissage : samedi 6 décembre dès 18h (les portes ouvrent dès 13h)
Adresse : 1er étage de l’ancienne Prison, Rue du Panorama 4, Vevey
- Exposition à la Galerie Tirelli : du 6 au 14 décembre 2025. Le vernissage aura lieu le 6 décembre entre 16h00 et 18h00 à la galerie Tirelli, Rue du lac à Vevey https://www.galerie-tirelli.ch/
