Philippe Reymondin Galerie mora mora

Philippe Reymondin – Galerie mora mora

L'Art A Genève
1 mai 2023

La galerie mora mora existe depuis février 2019. Elle est gérée par  Philippe Reymondin, artiste genevois. Ce lieu a pour but de valoriser les artistes locaux s’exprimant dans le domaine du dessin ou de la sculpture.

Philippe Reymondin, Quel est votre parcours ?

Je suis un artiste autodidacte depuis 40 ans dans le domaine de la peinture et du dessin après une période de quelques années dans le théâtre. Parallèlement à l'art, je travaille dans le domaine de l’animation socio culturelle. 

Vous avez ouvert une galerie d'art à Carouge. D’où vient le nom mora mora ?

Du malgache. Il signifie doucement. C’est le nom de l’agence de voyage qui était initialement dans l’arcade de la galerie et qui continue à avoir des activités.

Vous travaillez souvent avec des artistes suisses en situation de handicap. Est-ce que leur offrir un espace d’exposition c’est favoriser l’émergence de leur identité personnelle ? 

C’est la volonté de mettre en avant le langage artistique de ces personnes en situations de handicap et leur donner une visibilité au même titre que n’importe quel artiste. En les exposant dans une galerie, je leur donne un cadre afin qu’ils soient considérés comme des artistes à part entière. Il n’y a pas de volontés d’exposer des artistes « suisses », juste des artistes…

Anthony Maas, né en 1982 à Genève a présenté ses dessins lors de notre dernière exposition. Il dessine des bâtiments, des musées, des immeubles, des ponts. Anthony Maas prend des cours à l'atelier 1001 feuilles – www.1001feuilles.org – et est soutenu par l'association Mir'arts – www.asahm.ch/mirarts

Anthony Maas

Comment choisissez-vous les artistes et quel est l’accompagnement de la galerie mora-mora ?

En cinq ans, le choix des artistes pour exposer dans la galerie a évolué. Ils se dirige de plus en plus vers un profil d’artistes qui entrent dans les critères de l’art brut et l’outsider art. Cette démarche se fait en collaboration avec différents partenaires et institutions qui sont actifs dans la valorisation de l’expression artistique auprès des personnes en situation de handicap. Ce choix est lié à ma propre sensibilité artistique et à l’intérêt que je porte depuis de nombreuses années à une expression singulière, hors des champs banalisés de l’art plastique. 

Michel Thévoz, écrivain, philosophe, historien de l’art a fondé à Lausanne la prestigieuse Collection de l’Art Brut lorsque Jean Dubuffet lui confie sa collection à la fin des années 70. Quel est sa relation avec la galerie mora mora ? 

Michel Thévoz n’a pas de relation particulière avec la galerie mora-mora. Il a par contre une relation avec certains artistes qui y sont exposés, comme Anne-Marie Agilé Gbindoun et Markus Buchser. Ces relations m’ont amené tout naturellement à le rencontrer.

Anne-Marie Agilé Gbindoun est une artiste autodidacte suisse-franco-béninoise, née en 1968 à Cotonou, elle travaille et vit à Lausanne. Le professeur René Berger la découvre et est un des premiers à la soutenir. Deux de ses cahiers d’écritures automatiques ont été achetés par la collection permanente « Neuve Invention » de l’Art Brut en 2010. En mai 2023, elle expose à la galerie mora mora ses dessins avec le titre « Les sept paroles du Christ ». Quelle est sa relation avec l’Art Brut ? 

Anne-Marie Agilé Gbindoun ne se considère pas comme une artiste d’Art Brut. Elle ne souhaite pas être cataloguée dans une case « artistique », quelle qu’elle soit. Sa démarche, comme l’écriture automatique et l’illisibilité, peut toutefois être rapprochée de certains artistes de cette mouvance.    

Que représentent ses écritures picturales ?

Ces sont des tentatives de visualisations de sensations propres à l’artiste. C’est, comme elle le dit elle-même, faire voir ce que l’on ne voit pas.

Anne-Marie Gbindoun – mora mora

Anne-Marie Agilé Gbindoun : Les sept paroles du Christ

Dans notre tradition figurative, représenter la réalité, c’est s’en tenir aux données visuelles, c’est-à-dire garder ses distances, reporter sur la feuille ou sur la toile les silhouettes, les périphéries des corps, les ombres et les lumières telles qu’elles nous apparaissent en vis-à-vis – une performance que la photographie accomplit exhaustivement. Tel n’est évidemment pas le propos d’Anne-Marie Agilé Gbindoun. Non qu’elle opte pour l’abstraction, elle resserre même le rapport au réel. Son  « objectif » – allais-je dire si le terme n’était pas si mal choisi – c’est, d’abord, de visualiser les sensations tactiles, olfactives, gustatives, proprioceptives, qui interviennent prioritairement dans notre expérience, et qui sont ordinairement refoulées par ce privilège de la vision : paradoxalement, faire voir ce qu’on ne voit pas.

La manière qu’a la dessinatrice d’occuper la surface en continuité est déjà significative et suggestive. Elle pratique ce qu’on appelle le « all over » : non pas l’espace balisé et compartimenté qui échelonne les corps et les soumet à notre maîtrise projective, mais un milieu englobant, immersif, compromettant même, qui nous fait perdre nos repères. L’opposition du Moi et de l’Autre se résout dans une corporalité anonyme, empathique, et d’autant plus vive. On suit de dessin en dessin, comme dans une suite mélodique, des intensités physiques et psychiques subtiles qui échappent à la verbalisation.

Il faudrait être fanatiquement cartésien pour s’en tenir au corps comme à une étendue matérielle. « Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau », dit Paul Valéry, une formule qui a son corollaire dans ces compositions épidermiques, précisément : la peau, telle qu’elle est sensibilisée, activée, irradiée, nous achemine au monde mental dans sa vertigineuse complexité. La sensualité et la spiritualité s’y réconcilient, pour ainsi dire, dans un rapport de réversibilité.

On connaît la réaction de Dostoïevski  découvrant Le Christ mort de Holbein au Musée de Bâle : « Savez-vous qu’un croyant, en voyant ce tableau, peut perdre la foi ! » – c’est une formule qu’on peut inverser au contact (c’est bien le mot) des dessins d’Anne-Marie Agilé Gbindoun.

Michel Thévoz

 

Pratique : exposition du 4 au 20 mai 2023

https://www.artageneve.com/lieu/galeries/espace-mora-mora

Galerie mora mora