©Nicolas Delaroche

Benoît Billotte

par Nafsika Guerry-Karamaounas
24 novembre 2020

Benoît Billotte transforme le paysage urbain avec une fresque murale à Lancy, Pont Rouge sur le terminal de la ligne du tram 17, à Genève. Ligne de terre est son cinquième projet dans l’espace public.

Benoît Billotte réalise une œuvre murale à Pont-Rouge, Genève-terminus de la ligne du tram 17 grâce au concours organisé par la commission du Fonds d’Art Visuel de la Ville de Lancy, dont l’artiste est lauréat à l’unanimité. Cette fresque de 40 mètres de long sur 6 mètres de haut sera visible dans l’espace public durant 10 ans.

Ligne de Terre, Benoît Billotte, Pont-Rouge, Terminus du tram 17, ©Nicolas Delaroche

De quoi était constitué le dossier pour le concours ? Le mur était-il déjà ce qu’il est aujourd’hui ? Apparaissait-il comme nous pouvons le voir ?

L’appel d’offre était constitué d’une description des attentes et des modalités du concours avec un dossier de présentation du mur (plan et photo). Le mur en question était déjà en béton brut mais recouvert en partie par des tags. La ville de Lancy a pris en charge son nettoyage. 

Quel est le montant de la subvention pour un tel projet ?         

Le montant alloué pour ce projet selon l’appel à concours était de CHF 20'000.- au total. 

Comment avez-vous procédé pour faire d’un « non-lieu » un espace d’art visuel ? Quelles ont été les étapes de travail ?

Le contexte urbanistique de ce projet n’est pas évident. On se trouve au niveau du terminus du tram 17 dont les rails longent le mur. Au-dessus de ce dernier se trouve le réseau CFF desservant la gare de Lancy Pont Rouge. Tout autour de nombreux projets de constructions se développent. C’est un espace en transition où le caractère urbain est omniprésent. J’ai donc décidé de respecter cette spécificité en conservant l’aspect béton brut du mur. Par ailleurs, les dimensions de ce dernier, plus de 40 mètres de long, font de cette surface d’intervention un panorama encadré par deux talus de terre situés de part et d’autre. En somme, il s’agit d’un espace de projection ouvert à chacun dans une zone qui est en pleine mutation. 

Après un travail d’observation, de relevé métrique et photographique, le mur m’est apparu comme une coupe dans un paysage. J’ai donc voulu ré-évoquer ce territoire en imaginant et en redessinant certaines de ses caractéristiques géographiques, géologiques et spatiales. Au vue du caractère très construit du site, j’ai souhaité favoriser un aspect graphique, quasi organique avec beaucoup de courbes. Après cette phase de conception il y a eu la phase de réalisation avec l’aide de plusieurs corps de métier dont l’entreprise Schweizer pour la création d’un pochoir mural pour toute la partie inférieure du dessin, et l’entreprise Modulancy pour l’application de la peinture. 

Ligne de terre est votre cinquième projet dans l’espace public. Comment appréhendez-vous chaque lieu, chaque projet ?

Chaque projet est pour moi un challenge mais aussi l’opportunité de me plonger dans un lieu et de m'imprégner de ses spécificités qui peuvent être historiques, touristiques, géographiques ou tout simplement humaines. Chaque intervention est à considérer tant dans le contexte du site que dans un continuum temporel, une durée. L’intervention se doit d’être autonome, ouverte à l’appropriation et perméable aux changements. 

Ligne de Terre, Benoît Billotte, Pont-Rouge, Terminus du tram 17, ©Nicolas Delaroche

Plus généralement, quels sont les enjeux de la création urbaine ?

Il est toujours délicat d’intervenir dans l’espace public. On n'est pas en droit d’imposer quelque chose mais par contre on peut inviter chacun à y projeter quelque chose. Tout est une question de dosage pour être à la fois suffisamment visible sans pour autant être trop lisible et en tout cas jamais de manière univoque. Il s’agit avant tout pour moi d’un travail d’évocation et la plupart du temps de manière poétique. 

L’enjeu de la création urbaine est justement de savoir prendre en compte les caractéristiques du lieu sans s’y arrêter, ni figer la proposition car rien n’y est constant excepté le changement. 

Le mur sera visible durant dix ans. Comment percevez-vous l’état « éphémère » de votre œuvre ?

Cette durée de vie de dix ans répond à deux impératifs. Tout d’abord, celui de pouvoir maintenir l'œuvre en l’état durant une période suffisamment longue pour que les habitants puissent se l’approprier. Elle fera partie intégrante du paysage. Deuxièmement, et cela va paraître contradictoire, cette durée se doit d’être éphémère pour ne rien imposer sur du long terme. En effet, il est important de laisser les choses changer ou même disparaître et ainsi laisser la place à d’autres propositions. 

Ligne de Terre, Benoît Billotte, Pont-Rouge, Terminus du tram 17, ©Nicolas Delaroche

Le mur se trouve sur le tracé de la promenade Nicolas Bouvier, à venir. 

Pour votre mur, vous emprunté le titre « Poisson scorpion » à l’écrivain de façon visuelle,

à travers les constellations cosmiques du poisson et du scorpion apparaissant sur le mur.

Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui lie Nicolas Bouvier à votre réalisation outre la promenade ?

Deux éléments non paysagés viennent ponctuer le mural. Il s’agit de la constellation du poisson et celle du scorpion; ce choix fait directement référence à l’ouvrage de Nicolas Bouvier le Poisson scorpion dont une promenade lui rendra hommage prochainement à Lancy. Ce livre est le récit de voyage que l’auteur effectua à ses 26 ans au Sri Lanka. Loin d’être une expérience paradisiaque, il y raconte plutôt l’enfer qu’il y a vécu suite à une fièvre jaune. Proche du voyage introspectif, du carnet de bord et du texte fantastique, Nicolas Bouvier offre une forme de stylisation du voyage. Artiste arpenteur, préférant la dérive que la ligne droite, j’ai été très touché par cet ouvrage. Vu la proximité géographique de cette promenade avec le mur, et comme cette fresque est pour moi une invitation au voyage sous toutes ses formes, il était évident d’y faire allusion.

Ligne de Terre, Benoît Billotte, Pont-Rouge, Terminus du tram 17, ©Nicolas Delaroche

A quoi attribuez-vous les lignes, les courbes, jaunes et blanches du mur ?

Le dessin est un panorama constitué de 3 paysages fictifs. A la base, la partie en noir correspondrait à une coupe géologique permettant de voir les différentes strates qui constitueraient le sous-sol. Au dessus, les lignes jaunes reprendraient des dénivelés de terrain, on les nomme courbes de niveau. Il s’agit d’une vue en plan, c'est-à-dire une vue du ciel. Enfin, la dernière partie peinte en blanche reprendrait un territoire cette fois-ci céleste où les étoiles seraient ponctuées par deux dessins de constellations. 

Qu’aimeriez-vous que le promeneur se dise en voyant votre mur ?

Ahaha c’est une bonne question !!! J’avoue, j’aimerais qu’il se dise plein de choses ou peut être au contraire qu’il se laisse porter par son imaginaire. Que ça lui permette de ne penser à rien et juste de dériver dans ce mural, de se perdre un moment dans un ailleurs. 

Vous faites de nombreuses résidences à travers le monde (France, Argentine, Chine, Maroc, Italie, Mexique) 

quel est l’intérêt de ce mode de création ?

Le territoire est l’un de mes sujets de prédilection. Il peut être imaginaire ou réel, proche ou lointain, actuel ou disparu, peu importe. Dans tous les cas je collecte des informations dessus pour mieux le connaître, le comprendre et donc le représenter.

Pour ce faire je peux prospecter depuis mon atelier via des bases de données (bibliothèques, internet), ou parfois je préfère aller sur site, vivre le lieu, être en état d’immersion durant plusieurs mois. Les temps de résidence ponctuent donc ma manière de travailler. Ils me permettent de sortir de mon cadre de vie et de travail habituel. Comme un pas de côté, ils me donnent le décentrement nécessaire pour poursuivre mes recherches et m’ouvrir aux spécificités du lieu. Ce sont aussi de parfaites occasions pour tester de nouveaux supports ou me former à de nouvelles techniques (plantes tinctoriales, martelage du cuivre, impression 3D et découpe laser, sérigraphie).

Pratique : Tram Ligne 17 terminus Pont Rouge