Lionel Aeschlimann © Loris von Siebenthal

Lionel Aeschlimann

par Vanna Karamaounas
29 janvier 2022

Lionel Aeschlimann, associé gérant, Groupe Mirabaud, Collection d’art contemporain.

Lionel Aeschlimann, Quel est le rôle de la Collection d’art contemporain de Mirabaud dans le monde artistique ?

La créativité est fondamentale pour tout type d'innovation, pour penser différemment. Soutenir l'art contemporain en constituant une collection, c'est aussi soutenir le monde des idées et les artistes qui donnent vie à ces idées de manière si brillante.

In Situ : Emilie Ding – How High You Can Count, 2017, © Geneva Lux Festival

Les œuvres d’art en tant que telles constituent un reflet de notre société. Elles sont en quelques sortes les témoins de notre histoire. Le Groupe Mirabaud soutient les artistes contemporains dans leur création, de par l’acquisition d’œuvres, mais également les galeries et autres lieux d’exposition fixes ou éphémères, dans une logique de partage. L'art prend un sens tout particulier lorsqu'il est visible le plus largement possible. La banque a par exemple récemment publié une partie de sa collection sur un site internet dédié, acquis l’œuvre de l’artiste Emilie Ding « How High You Can Count » (vibrant hommage à la compositrice Pauline Oliveros, à l'origine du concept de "Deep Listening") afin d’illuminer la façade de son bâtiment donnant sur la plaine de Plainpalais ou encore fait don à Genève, à l’occasion de son bicentenaire en 2019, d’une œuvre intitulée ‘Moon’ de l’artiste suisse Not Vital. 

Au niveau de sa propre collection, Mirabaud investit aussi bien dans de jeunes artistes en devenir – Omar Ba, Babi Badalov, Mircea Cantor – que dans des talents confirmés – Not Vital, General Idea, Thomas Ruff et Olafur Eliasson, pour ne citer qu'eux.

Les bases de cette collection sont exposées dans les bureaux du Groupe, notamment à Genève, Zurich, Bâle, Paris, Londres, Barcelone, Luxembourg ou encore Madrid ou Abu Dhabi. Ces accrochages reposent sur une sélection étayée par de fortes convictions et par la volonté de créer des dialogues entre œuvres et artistes.

Quel a été le déclic ?

Soutenir les jeunes créateurs du monde est essentiel pour notre Groupe, un acte d’engagement envers un monde ouvert, inclusif et cosmopolite. Acquérir des œuvres, permet de promouvoir la créativité et l'innovation sous toutes leurs formes. Depuis sa création en 1819, la banque Mirabaud a toujours eu à cœur de soutenir le patrimoine, l’art, la culture. Depuis un certain nombre d’années, Mirabaud s’intéresse plus particulièrement à l’art contemporain, qui, associé aux œuvres des siècles passés, permet de jeter un pont entre tradition et modernité. Un geste qui traduit également la vision engagée et à long terme que défend le Groupe dans ses activités de gestion. Au fil du temps, la collection Mirabaud s’est étoffée afin de donner une représentation pluraliste de notre histoire commune et du monde d'aujourd'hui.

Aujourd’hui quelle est votre motivation ?

Nous continuons à faire grandir notre collection, dans l’optique de soutenir les créateurs, promouvoir l’innovation et partager l’art. Nous allons également poursuivre les accrochages dans nos différentes filiales à l’international. La collection vivante de Mirabaud constitue un lien fort qui nous unit à nos clients et à nos collègues. Les œuvres font appel à nos émotions et créent des liens. La création artistique nous fait dialoguer. Elle joue un rôle important dans notre société car elle nous permet de sortir de notre zone de confort et nous pousse à nous remettre en question ou à porter un nouveau regard sur le monde.

John Armleder – Batterie Furniture Sculpture 168, 1987, © Nicolas Lieber

Votre rapport au marché de l’art ?

La collection d’art contemporain de Mirabaud, même si elle continue à s’enrichir, se veut avant tout modeste, humble, à l’échelle du Groupe. En même temps, elle est un processus et ne sera jamais « achevée ». Cette période si particulière que nous vivons depuis deux ans nous conduit à soutenir les artistes avec un engagement plus fort que jamais. La culture et l’art en particulier sont un liant absolument essentiel pour notre société. 

Le courant artistique qui vous touche le plus ?

Nous sommes sensibles à la singularité de chaque artiste et de chaque œuvre. Nous comprenons évidemment que certains collectionneurs, historiens, maisons de vente et experts veuillent classer, ordonner et “ranger” les œuvres et artistes dans des courant ou compartiments. Cela ne nous intéresse pas vraiment au niveau de notre collection. Ce que nous voyons, c’est que chaque œuvre d’art - et c’est peut-être là une tentative de définition de l’art - crée et invente une forme nouvelle, inédite, souvent inclassable…

La qualité que vous préférez chez un artiste ?

Sa capacité à nous faire voir le monde sous un regard nouveau, de créer une forme inédite, de nous parler d’un monde extérieur ou intérieur au moyen de langages créatifs jamais vus ni entendus. Sa capacité à nous surprendre en somme, et donc à nous toucher et à nous faire penser, réfléchir.

Ce que vous redoutez le plus chez un artiste ?

Qu’il cesse d’inventer, de créer, en répétant une œuvre à succès. Qu’il cesse de penser pour se mettre juste à vendre un produit ; c’est là, la mort de l’artiste…

Quel est le rôle d’un musée d’art contemporain ?

Conserver, montrer au public et rendre accessible les œuvres d’art, les faire dialoguer entre elles, faire découvrir des artistes et des œuvres pas ou peu connus.

Que pensez-vous de la prolifération des foires d’art contemporain ?

De manière générale, nous en pensons du bien. Il est bon que les galeries puissent montrer le travail des artistes au plus grand nombre. En tant que partenaire historique du MAMCO, nous sommes présents à la foire ArtGenève en soutenant un stand intitulé « in course of acquisition », qui se verra habiller au fur et à mesure des acquisitions effectuées par le MAMCO grâce à divers mécènes dont notre Maison. Mirabaud est également un fidèle soutien de la FIAC Hors les Murs, ainsi que d’initiatives telles que le Quartier et de la Nuit des Bains ou encore le Zurich Art Weekend. 

L’objectif des foires d’art contemporain est de faire circuler les idées, faire connaître les œuvres et servir de vitrine aux artistes et galeries. 

Quelle est la tendance aujourd’hui sur le marché de l’art ?

Les gens ont en général passé beaucoup de temps chez eux depuis le début de la pandémie, avec une volonté de s’y sentir bien, de renouveler leur intérieur, d’investir dans l’art, de donner du sens. 

L’œuvre d’art est-elle un objet sacré ?

L’œuvre d’art est assurément un objet essentiel dans la vie des sociétés de notre monde, et ce, depuis toujours. Est-elle un objet sacré? Cela dépend de ce que l’on entend par « sacré ». Si l’on se réfère à l’élément spirituel, au sens intelligence ou « âme » humaine, sans doute. Si l’on pense au contraire à une « sacralisation » décrétée par une autorité, qu’elle soit religieuse ou autre, nous préférons penser que non. En vérité, nous ne savons toujours pas exactement définir ce qu’est une œuvre d’art, même si nous la reconnaissons en général lorsque nous la voyons, de par le fait qu’elle nous étonne, qu’elle touche nos émotions, qu’elle nous pousse à prendre le temps.

Quel est l’un de vos derniers coups de cœur ?

« Furniture Sculpture 168 » de John Armleder. Une œuvre ready-made, qui paraît de prime abord n’être « qu’une » batterie posée sur un socle, alors qu’en réalité elle constitue une véritable sculpture qui prend de la place, qui existe à part entière, qui remplit l’espace avec ses formes sculpturales, ses pleins, ses vides, ses ronds et toutes ses occupations de l’espace.

Quelle est pour vous la ville la plus artistique ?

Paris, Londres, New York et Bâle figurent certainement sur le haut de la liste, de par la richesse de l’offre culturelle et muséale qu’elles proposent. Mais également toutes les villes qui chercher à intégrer l’art dans la ville et à le promouvoir, le montrer, le partager. De plus en plus de villes sur d’autres continents que l’Europe ou l’Amérique jouent un rôle dynamique et vital. Citons Dakar, Johannesburg ou México. Même s’il existe de beaux projets à Genève, de manière générale la ville mériterait un engagement des pouvoirs publics pour que des pôles museaux de qualité, tels le MAMCO, puissent être soutenus de manière encore plus forte.

Des villes comme Málaga, Amsterdam ou Bilbao ont vu leur attractivité croître de manière importante dès lors qu’elles ont su organiser et investir dans des projets d’envergure autour de l’art en général et de l’art contemporain en particulier. Il serait vraiment regrettable que la ville de Genève perde du terrain par rapport à d’autres villes suisses telles que Bâle ou Zurich ; il nous tient à cœur que ce ne soit pas le cas.